Rien. J’ai beau tendre l’oreille je n’entends qu’un murmure, un bruissement très léger, venus des éternels courageux qui se battent pour les libertés individuelles. Mais sinon, rien que le vide et le silence.
Le 23 mars, la chambre correctionnelle de Rabat a condamné en appel la femme d’affaires Hind Achabi à deux ans de prison ferme pour adultère. Poursuivie par son mari, un diplomate koweitien, elle est accusée d’avoir entretenu une relation extraconjugale avec un entrepreneur marocain qui, lui, a écopé de sept mois de prison… Voilà les faits. Ils se déroulent au Maroc, en 2017, dans une quasi totale indifférence.
Dans notre pays, qui a signé des conventions internationales, qui ne cesse de mettre en avant son attachement au «processus démocratique», qui se targue d’être un modèle d’ouverture et de diversité, oui, dans ce pays-là, une femme est condamnée à de la prison ferme pour adultère. Vous voulez savoir ce que les Marocains en disent? Vous imaginez qu’une vague de protestation a soulevé le pays comme un seul homme? Que des milliers de gens ont écrit, pétitionné, manifesté, pour défendre la dignité de toutes celles et tous ceux qui croupissent derrière des barreaux pour avoir «trompé» leur légitime époux(se)?
Non. Et en vérité, je vous déconseille d’aller consulter les réseaux sociaux ; vous pourriez y perdre ce qui vous reste de foi en l’humanité. La lecture des commentaires sur cette affaire a de quoi faire vomir ; j’ai rarement lu autant de méchanceté, de misogynie, de pure aigreur, de haine sociale mâtinée de moralisme. «Bien fait pour elle, sale chienne!». «Qu’elle paye pour avoir déshonoré son mari». «En prison, sale bourgeoise, ton fric ne te servira à rien». Cette logique vindicative et mesquine me désole à un point que je ne saurais décrire.
Je ne cesse de me demander comment la société peut accepter avec une telle apathie, une telle indifférence, cet état de fait, cette succession d’affaires qui foulent au pied les libertés individuelles? Mais, me direz-vous, ça ne fait pas partie des priorités des gens! Ils ont bien autre chose à penser et je n’aurais, moi, que des indignations bourgeoises. Mais je me demande surtout pourquoi aucun intellectuel, aucun artiste, aucun homme ou femme politiques ne montent au créneau pour s’insurger contre cette sentence dégradante et contre la loi qui la permet? Pour défendre une fois pour toutes des libertés individuelles que tout le monde réclame en privé mais que personne ne défend en public?
Samedi dernier, au Salon du livre de Paris, il fallait voir ce Maroc fier de lui. Ce Maroc des gens de lettres, de gens ouverts, porteurs de valeurs de lumières. Il fallait entendre les discours d’intellectuels, de politiques, d’experts, de chercheurs, qui ne manquaient ni de brio ni de lucidité. Mais à eux, je demande: que faisons nous de tout cela? De nos plumes, de nos voix? Nous devrions, sans cesse, être des “inquiéteurs“, des empêcheurs d’incarcérer en paix.
Nous devrions être les mauvaises consciences, toujours en éveil, les petites voix qui disent non, c’est assez, les chiens de garde de la dignité! Nous devrions pointer du doigt ces injustices ignobles, hurler comme j’ai envie de le faire face à l’ignominie qui consiste à enfermer une femme adulte pour une relation sexuelle consentante! Nous nous devons de refuser qu’on puisse séparer des enfants de leur mère, briser des destins, pour un acte qui relève de la sphère privée, de la morale peut-être (et encore!) mais pas de la légalité.
«Que vais-je faire aujourd’hui pour ne pas perdre ma qualité et ma fierté d’homme?» écrit notre grand poète Abdellatif Laâbi. La lâcheté et le silence nous déshonorent. Comme nous déshonorent ces arguments que je ne supporte plus d’entendre: «la société marocaine n’est pas prête». «Il ne faut pas brusquer les choses». «Ici, ce n’est pas la France». Ah, parce que la société est prête pour la violence, l’indignité, l’humiliation mais ne le serait pas pour le respect des droits et la pédagogie en terme de libertés individuelles? Et pire que tout, je suis fatiguée de ceux qui disent: «il suffit d’être discret» ou encore «au Maroc on peut s’arranger», prouvant bien que les gens ont intériorisé l’arbitraire et n’ont plus, contre lui, aucun élan de révolte.
Sans des hommes et des femmes engagés, en colère, sans cesse sur le qui-vive, on ne pourra faire triompher la liberté de conscience, la liberté de disposer de son corps. On ne pourra pas gagner la bataille de l’égalité en matière d’héritage ou lutter efficacement contre l’homophobie. Je veux rendre ici hommage à tous les individus, trop souvent isolés, pas assez soutenus, qui se battent sans relâche pour nos libertés.
Je veux leur dire combien je leur suis redevable et saluer leur constance et leur courage. Je vais, pour un temps, me retirer de ces pages pour m’occuper d’un enfant à naître. Mais que tous ces combattants sachent qu’ils peuvent compter sur moi pour refuser les discours creux, les faux-semblants. Et que je continuerai de tremper ma plume dans ma rage, dans mon indignation. A très bientôt, pour de nouveaux combats.