Nous sommes une société normale, donc avec des monstres qui commettent des horreurs. Ce qui est arrivé dans un village pas loin de Rabat est monstrueux. Ce genre de choses arrive un peu partout dans le monde, en France, en Norvège, aux États-Unis, etc. Des viols, des féminicides, des actes de pédocriminalité, de l’inceste sont des horreurs qui n’épargnent aucune société. Pas de perfection. Toute société a ses failles, ses drames et aussi ses folies néfastes.
Avant, ça arrivait et on se taisait. Silence et honte. On jetait la mauvaise poussière sous le tapis.
Aujourd’hui, la presse est à l’affût du moindre fait qui scandalise le citoyen par ailleurs assez friand de ce genre de drames. Et évidemment, il pense que «ça n’arrive qu’aux autres».
Ce qui est incroyable, c’est que le monstre en question a pu en toute tranquillité faire six enfants à sa propre fille. Comment est-ce possible? L’épouse, la mère, devrait en principe voir et constater l’inadmissible. Elle s’est tue. Pas un mot. Hchouma et El 3ar! Pourtant six grossesses, ça ne se cache pas. Ça se voit et ça fait même du bruit.
Un enfant abusé par quelqu’un de la famille, ça ne laisse pas de trace, sauf dans la vie du pauvre gamin qui va grandir avec cette blessure, laquelle, dans certains cas se traduit par des brutalités portées sur des femmes.
L’homme qui bat son épouse, trouvant cela normal, a dû subir cette violence quand il était gosse. C’est ce que nous disent les psychologues. C’est possible. Cela étant, rien ne justifie cette horrible violence dont sont victimes des femmes un peu partout dans le monde.
L’écrivaine mauricienne Natacha Appanah vient de publier «La Nuit au cœur» (Gallimard), un livre terrible sur la violence conjugale qui débouche parfois sur l’assassinat de l’épouse. Trois hommes. Trois épouses. M.B. (les personnages masculins sont nommés par les initiales de leur nom). Cœur de pierre. Il est maçon. Algérien. Sa femme aussi. Ils vivent en France. M.B. est violent, de nature. Il est comme ça. Un jour il décide, pour des raisons inconnues, de tuer sa femme. Il choisit la mort la plus terrible: par le feu. Il l’asperge d’essence, de la tête aux pieds, muni d’une carabine pour éloigner ceux qui voudraient intervenir pour la sauver, il prend tranquillement son briquet et met le feu à sa femme, laquelle ne meurt pas tout de suite.
Natacha Appanah écrit (p. 179): «Chahinez était vivante quand elle a pris feu et elle est restée en vie jusqu’à ce que son corps soit quasi entièrement brûlé». M.B. a été condamné à perpétuité.
Cette violence traverse la Méditerranée malgré la douceur de vivre dans cet espace privilégié par un climat clément.
La question qu’on se pose est la suivante:
- Qu’est-ce qui a suscité au départ le désir d’un père d’engrosser sa propre fille, sachant que l’inceste est un tabou absolu?
- Qu’est-ce qui a pu autoriser M.B. à brûler sa femme en public?
Les deux faits se rejoignent dans l’horreur et aussi dans l’absence cruelle de toute éducation.
Le père incestueux a agi comme un animal. La promiscuité, la vie dans la campagne, les traditions et la honte seraient à la source de ce passage à l’acte affreux, intolérable, devant être puni très sévèrement. Il en va de la survie d’une société.
«Il faut libérer Betty Lachgar. C’est son droit absolu de croire ou ne de pas croire en Dieu et de l’exprimer.»
— Tahar Ben Jelloun
Le mari incendiaire a suivi son instinct d’une violence héritée de l’histoire de son pays natal, l’Algérie (la guerre civile entre 1991 et 2000).
Reste que la justice, si elle apaise un peu, ne pourra jamais réparer les cœurs et les âmes blessés. Les enfants de l’inceste vont vivre dans un cauchemar et ont besoin d’être pris en charge par l’État qui devrait les réparer et les aider à vivre normalement. Ce sont des victimes collatérales d’un drame aux répercussions infinies.
Il en est de même des enfants de M.B. et de Chahinez. Ce crime va les hanter. La justice, ça ne suffit pas pour retrouver un équilibre et une vie dite normale. Car ces crimes ne sont pas limités dans le temps et l’espace. Ils font le malheur longtemps et partout.
2—
La cas de Betty Lachgar, condamnée à 30 mois de prison et à 50.000 DH d’amende pour «offense à l’islam et à la divinité» pose un problème à notre société.
Au Maroc, la liberté de conscience n’a pas été inscrite dans la Constitution. Croire ou ne pas croire, ça ne se discute pas. C’est ainsi.
Mais la liberté d’expression est reconnue.
Féministe, militante, Betty Lachgar n’a pas mesuré la gravité de ses gestes et de ses provocations. Elle est connue pour des manifestations de contestation de la religion.
Je ne suis pas d’accord avec ses idées. Mais je dis que cette dame a le droit de s’exprimer librement sans encourir d’aller en prison.
Dans une lettre datant du 6 février 1770, Voltaire se serait adressé à l’abbé Le Riche en ces termes: «Monsieur l’abbé, je déteste ce que vous écrivez, mais je donnerai ma vie pour que vous puissiez continuer à écrire».
Voltaire exagérait un peu. Mais il partait du principe que dans une démocratie, la liberté d’écrire et de dire des choses inconvenantes devrait être tolérée.
J’en ai parlé avec mon ami, l’islamologue et romancier Rachid Benzine. Il a été catégorique: cette femme a le droit de s’exprimer. Elle ne mérite absolument pas d’aller en prison. Il a ajouté: «La divinité n’est pas vulnérable pour qu’on emprisonne une personne qui en parle en des termes inappropriés».
Donc, nous disons, lui et moi: il faut libérer Betty Lachgar. C’est son droit absolu de croire ou ne de pas croire en Dieu et de l’exprimer. Elle est l’unique responsable de ce qu’elle dit et ce qu’elle fait. C’est ce que dit le verset 33 de la Sourate XXXI: «La responsabilité individuelle est engagée en toute circonstance même lorsque le démon tentateur se fait pressant». Quant au verset 111 de la Sourate IV, il dit: «Tout pécheur ne commet de péchés que contre lui-même».
Ensuite, c’est une question de tolérance. Accepter que d’autres personnes pensent autrement que nous.





