L’amélioration de la prise en charge des maladies cancéreuses a permis, au cours des dernières décennies, d’augmenter la survie et l’espérance de vie des patients porteurs de cancers.
Cependant l’emploi d’une chimiothérapie parfois agressive et à base d’agents médicamenteux d’une haute toxicité majore le risque d’une insuffisance ovarienne prématurée et par conséquent expose à une infertilité chez les jeunes femmes et enfants atteints de cancer.
L’un des enjeux majeurs des équipes médicales traitantes sera donc de tenter de conserver la fonction ovarienne et la fertilité de ces patientes à l’issue des traitements anticancéreux.
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Les solutions médicales à cette situation complexe ont été développées dans un article scientifique paru dans le numéro 122 (mai 2022) de la revue marocaine de médecine pratique.
L’équipe médicale du service de gynécologie-obstétrique, cancérologie et grossesse à risque de la maternité Souissi du CHU de Rabat, présente les techniques de congélation embryonnaire ou de cryoconservation pour préserver la fertilité, avant toute chimiothérapie.
Il ressort de ce travail que la congélation embryonnaire est une pratique reconnue mondialement permettant la préservation de la fertilité, mais elle n’est pas toujours réalisable en raison du fait que l’autoconservation des gamètes féminins est beaucoup plus complexe que celle chez l’homme.
Il faut rappeler que les gamètes sont les cellules reproductrices, appelées spermatozoïdes chez l’homme et ovule chez la femme. Elles sont situées dans les glandes sexuelles, que l’on appelle aussi les gonades. Les gonades des hommes sont les testicules et chez les femmes ce sont les ovaires.
Ainsi, dans le même souci de protection de cette fertilité chez des jeunes femmes sous chimiothérapie anticancéreuse, d’autres stratégies ont été développées, comme la cryoconservation d’un prélèvement du tissu ovarien de la femme, avant qu’elle ne bénéficie de la première séance de chimiothérapie.
Cette méthode est proposée par des équipes médicales marocaines en cas de traitement hautement toxique pour les gonades.
En plus, la cryoconservation du tissu ovarien a l’avantage de pouvoir être proposée aussi bien aux jeunes femmes qu’aux filles prépubères et permet de ne pas retarder un traitement par chimiothérapie.
Il faut rappeler que le fardeau mondial du cancer a atteint 18,1 millions de nouveaux cas par an (statistiques de 2018).
Chez les enfants, ce sont 300 000 nouveaux cas par an mais avec un taux de rémission plus important que celui de l’adulte.
Au Maroc, le taux est estimé à 40 000 nouveaux cas / an.
Et une femme sur six dans le monde développera un cancer au cours de sa vie.
Parallèlement, les progrès thérapeutiques ont permis l’amélioration du taux de survie chez ces patientes, qui expriment généralement un désir de reproduction après rémission de leur cancer.
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Cependant, les traitements anticancéreux en particulier la chimiothérapie sont susceptibles d’impacter négativement la fertilité naturelle et spontanée.
La préservation de cette fertilité devient ainsi un enjeu principal à l’issue de ces traitements toxiques pour les gonades.
Cela a souvent été rappelé par les sociétés médicales savantes à travers le monde qui appellent toujours à la préservation de la fertilité.
La plus illustre, l’Americain Society of Clincial Oncology (ASCO), qui regroupe chaque année plus de 10 000 cancérologues, qui viennent du monde entier, affirme que la préservation de la fertilité doit être proposée aux patients et aux parents des enfants atteints de cancer avant la mise en route d’un traitement qui risque d’hypothéquer la fertilité.
En France, la loi de bioéthique de 2004 stipule que «toute personne peut bénéficier d’un recueil et de la conservation de ses gamètes ou du tissu germinal qui contient les cellules à l’origine des spermatozoïdes ou des ovules, lorsqu’une prise en charge médicale est susceptible d’altérer sa fertilité ou lorsque sa fertilité risque d’être prématurément altérée».
Il en est de même des recommandations de l’Institut National du cancer INCA France en 2010, qui propose systématiquement une stratégie de préservation de la fertilité pour les adolescents.
Au Maroc, la loi 47-14 relative à la procréation médicalement assistée (PMA), publiée sur le bulletin officiel du 4 avril 2019 sous le numéro 6766, comporte 7 chapitres.
Et l’article 24 a été dédié à la préservation de la fertilité: «toute personne qui subit un traitement pouvant affecter sa capacité à procréer ou se préparant à le subir ou dont la fertilité risque d’être prématurément altérée, peut recourir à la conservation de ses gamètes ou de ses tissus germinaux en vue de leur utilisation ultérieure dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation conformément aux dispositions de la loi…..».
Le travail scientifique de l’équipe de la maternité Souissi de Rabat, composée par les docteurs R. Watfeh, M. Hijji, A. Ansari Chenguiti, M.Youssef et S. Bargach, expose les différentes techniques de préservation de la fertilité dont le choix des différentes options va dépendre de l’âge de la patiente, de la présence ou pas d’un partenaire et du temps disponible avant la mise en route du traitement anticancéreux.
Il peut s’agir de la congélation embryonnaire après une fécondation in vitro ou de la conservation d’ovocytes (les gamètes femelles) non fécondés ou d’autres techniques plus spécifiques.
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En conclusion, si la chimiothérapie, comme étant un arsenal thérapeutique très efficace contre les cancers, il n’empêche qu’elle a un impact nocif sur la fertilité.
Le défi est donc de conserver la fonction ovarienne de ces patients, afin qu’elles puissent procréer en cas de rémission de leur cancer.
L’émergence de l’oncofertilité (nouvelle spécialité médicale alliant oncologie et préservation de la fertilité féminine ou masculine), permet à ces patientes de protéger leur capital de cellules germinales, à condition que celles-ci, ainsi que leur famille, soient bien informés sur cette opportunité médicale de pointe avant le début de tout traitement anticancéreux.
*Le Dr Anwar Cherkaoui est médecin. Lauréat du cycle supérieur de l'Iscae, il a été, trente années durant, le responsable de la communication médicale du CHU Ibn Sina de Rabat.