De multiples et différentes questions interpellent suite au séisme qui a frappé plusieurs provinces dans la région d’Al Haouz. Un sentiment de tristesse évidemment, mais aussi le ressenti d’une fierté nationale face à l’exceptionnelle mobilisation, généreuse et spontanée, de la collectivité marocaine. Mais parmi les sujets importants, la question de la reconstruction est essentielle.
La reconstruction dans un contexte d’habitat dispersé en zone montagneuse
Il y a un débat, aujourd’hui, pour savoir s’il faut reconstruire, in situ, à coups de milliards, des logements dans ces hameaux, douars et sous-douars touchés à divers degrés par le séisme, de minuscules groupements d’habitat qui se comptent par milliers. Ou bien réfléchir à une reconstruction sur la base d’un «regroupement des populations» au niveau de localités viables, afin de garantir les services de base (électricité, eau, santé, scolarisation, accessibilité…) et améliorer les conditions de vie.
L’éparpillement démographique en douars et sous-douars est impressionnant dans les trois provinces frappées par le séisme. La province d’Al Haouz, divisée en 40 communes, comporte pas moins de 2.056 douars et sous-douars. La province de Chichaoua, divisée en 35 communes, comporte 1.371 douars et sous-douars. Enfin, la province de Taroudant, divisée en 89 communes, comporte 2.783 douars et sous douars.
Les trois provinces totalisent ainsi un ensemble de 6.210 douars et sous-douars qui sont en majorité nichés dans les contreforts du Haut Atlas. Un relief torturé, rocailleux, faits de pics, de gorges, de dépressions et de nombreuses vallées. Si dans les temps anciens, les populations préféraient habiter dans des endroits escarpés pour des raisons de sécurité contre les pillards, aujourd’hui, une telle motivation est obsolète.
Suite au séisme, certains de ces douars ont subi de grosses pertes, d’autres ont été entièrement ensevelis. L’accès des secouristes à ces localités a connu beaucoup d’entraves suite aux éboulements. Il fallait intervenir sur une multitude de hameaux éparpillés. Un travail rigoureux d’organisation et de coordination que certains n’ont pas compris.
Une infinité de petits douars non viables
D’autres chiffres sur le nombre réduit de ménages qui occupent ces petits douars (largement médiatisés ces derniers jours dans une triste actualité) donnent à réfléchir. En «temps normal», dans la province d’Al Haouz, le douar Talat N’Yaaqoub, proche de l’épicentre du séisme, comptait 82 foyers (336 personnes). Le douar Ijoujak comptait 57 foyers (280 personnes), alors que le douar Ighil comptait 64 foyers (322 personnes).
Dans la province de Taroudant, le douar Tamaloukt comptait 178 foyers (635 personnes), et le douar Tajgalt comptait 62 foyers (327 personnes). Dans la province de Chichaoua, le douar Tikekht comptait 88 foyers (380 personnes). Il est évident que cette dispersion dans une vaste zone accidentée ne peut favoriser une politique efficace d’aménagement du territoire.
Il y a aussi ces jugements hâtifs de certains qui voient ces hameaux comme des signes de «sous-développement», les considérant comme faisant partie des «zones oubliées», alors que l’équation est très complexe pour des raisons socio-culturelles profondes. D’importantes actions sont entreprises pour pourvoir ces localités en services de base, mais les obstacles sont nombreux.
L’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEEP) connaît parfaitement les difficultés liées au relief. L’Office arrive à connecter au réseau national électrique un très grand nombre de localités, mais électrifier 6.000 douars est un véritable défi au coût financier gigantesque.
Il en est de même pour les départements de l’Éducation nationale, de la Santé et de l’Équipement. Ces ministères mènent une action permanente pour doter, ou au moins rapprocher, ces douars d’écoles, de centres de soins et faciliter leur accessibilité. Mais les besoins restent énormes.
Choix de vie et impératifs de développement et de modernité
Il s’agit donc de populations qui ont fait le choix de vivre, sur plusieurs générations, dans ces hameaux isolés conformément à un mode vie et une activité économique qui leur conviennent (élevage et culture vivrière).
C’est aussi un lien avec leurs parents ou leurs ancêtres. Ils ne changeraient pas facilement leur mode d’existence, à moins d’un événement majeur. Comme, par exemple, le séisme qui a frappé ces régions le 8 septembre, et qui a tout bouleversé.
Il s’agit certes de respecter le choix de vie des populations conformément aux principes des droits humains. Mais le devoir est aussi de pourvoir ces 6.000 douars et sous-douars en eau, électricité, dispensaires, écoles et voies d’accès dans des zones au relief torturé et qui sont aujourd’hui sous la menace de séismes récurrents.
Or, il n’est pas évident de généraliser d’une manière intégrée les infrastructures face à cette hyper dispersion. Et il faut aussi rappeler qu’en plus désormais de la menace sismique, ces hameaux connaissent des hivers rigoureux et sont souvent enclavés par les neiges. Chaque année, il y a une mobilisation pour les approvisionner en vivres, en vêtements et en bois de chauffage, et pour dégager des voies d’accès.
Certains pays, en Afrique, ont adopté le regroupement forcé et brutal, qu’ils ont appelé «villagisation». Par contre, des pays en Amérique latine ont sensibilisé les populations au regroupement par le dialogue, la concertation et différentes motivations.
Les conditions d’un regroupement cohérent et accepté par les populations
Malgré le malheur qu’il a engendré, ce séisme peut être mis à profit pour mener des études avec des sociologues, psychologues, anthropologues, géographes, démographes, architectes, urbanistes et économistes, en vue de définir les conditions d’un regroupement cohérent, bien expliqué et accepté par les populations.
Il s’agira aussi de tirer les leçons de ce séisme sur le plan de l’aménagement du territoire. L’objectif serait de garantir une répartition juste et équilibrée des ressources et des activités, pour que toutes les zones et les populations bénéficient de la dynamique économique que connaît notre pays.
On peut aussi opter pour la reconstruction in situ, mais on n’aura rien réglé. Les hameaux, même reconstruits, resteront toujours isolés avec les mêmes problèmes. Même sans séisme et avec des hivers cléments, les conditions de vie resteront toujours difficiles dans ces douars en confettis dans les contreforts du Haut Atlas.