Je suis témoin de la dégradation de la kasbah de Boulaouane, un site historique, depuis mon plus jeune âge. Chaque fois que je m’y rends pour le faire découvrir à des amis, je suis peinée. La semaine dernière, j’ai constaté une dégradation encore plus grande, dans l’indifférence totale.
Quand je pense que des pays, qui apprécient leur mémoire, font des musées seulement avec un stylo et une chaise ayant appartenu à une personnalité. Les visiteurs payent pour capter un fragment d’Histoire.
La Kasbah de Boulaouane se situe sur la rive gauche de l’Oued Oum Errabia, à 75 km d’El Jadida et à 125 km de Casablanca. Perchée sur une colline, elle dresse avec fierté ses murailles et trône majestueusement sur un site d’une beauté époustouflante.
Ici s’étendent des plaines à perte de vue, aux couleurs de la terre, allant du rouge-marron du hamri au noir chocolat du tirs. Une palette formant un patchwork de couleurs chaudes, dont les nuances varient toute la journée au gré des rayons d’un soleil généreux qui fait la richesse du terroir Doukkali.
La beauté de ce tableau est rehaussée par l’Oum Errabia, qui sillonne cette plaine agricole en la teintant d’un bleu limpide à un vert de jade. Du haut de la kasbah, on peut ressentir l’énergie que dégage cette terre et qui, dans un silence paisible, nous emplit d’une sensation de joie et de sérénité.
Le nom de Boulaouane a traversé les frontières du Royaume. C’est dans cette région que s’épanouissent les cépages du vin gris marocain éponyme, issu d’une variété de raisin au cépage unique.
Selon la légende, la kasbah est à l’origine d’une histoire d’amour. Les gens de Boulaouane, pauvres, n’avaient rien de précieux à offrir au Sultan Moulay Ismaïl. Ils lui offrirent une belle jeune fille, Halima El Ghachoua. Il fut si épris d’elle qu’il la fit monter au sommet de la colline sur laquelle a été construite la kasbah, et lui annonça: «Je te donne à toi et ta tribu tout le terrain que tu peux apercevoir.»
Halima fut choyée par le Sultan qui, toujours selon la légende, aimait séjourner à la kasbah de Boulaouane en présence de sa bien-aimée. À la mort de Halima, il aurait été si affligé qu’il décida de fermer la kasbah.
«La kasbah de Boulaaouane a été inscrite au patrimoine national en 1924. Un siècle plus tard, elle n’est que désolation. En 2019, le ministère de la Culture avait lancé un projet de réhabilitation, qui n’a cependant jamais été réalisé.»
Boualaouane se trouve à la croisée de Marrakech, Rabat et Meknès, qui était alors la capitale du Royaume. Le commerce y était florissant, mais la zone commerciale n’était pas pacifiée. Pour la sécuriser, Moulay Ismaïl fit construire, le long de la façade atlantique, plus de 70 kasbahs pour la contrôler. Érigée en 1710, La kasbah de Boulaaouane fut une forteresse militaire avec des entrepôts, qui joua un rôle stratégique dans le contrôle, la sécurité et la stabilité des provinces environnantes.
Que reste-t-il aujourd’hui de cet illustre monument? Ses remparts crénelés, une partie de ses tours et sa porte monumentale en pierres de taille. À l’intérieur subsiste un escalier permettant de monter faire le tour des remparts, mais sur un sentier étroit et accidenté qui s’effrite faute d’entretien, et où il vaut mieux ne pas s’aventurer au risque de faire une chute de près de 5 mètres.
Dans la cour centrale, il ne reste plus rien du palais du Sultan, du hammam et des autres bâtiments, ni du sous-sol qui servait d’entrepôts et de prison. Les mosaïques qui ornaient le sol et les murs ont disparu sous les ruines. La mosquée, dont les voûtes étaient supportées par 18 colonnes, n’est plus qu’un amas de débris. Seul survit son minaret aux murs craquelés, rongé par la négligence, qui semble pleurer sa gloire d’antan. Il y a également la koubba, coupole qui abrite le tombeau du saint Sidi Mancar, auprès duquel les femmes venaient prier pour leur fertilité.
En 2011, la chaîne Arte a réalisé un documentaire, intitulé «Par Avion», consacré à l’Aéropostale et a filmé la kasbah de Boulaouane. Pourquoi donc? Un autre titre de prestige, révélé par Mustapha Jmahri («Chroniques secrètes sur Mazagan», éd Cahiers d’El Jadida, 2010). Antoine de Saint-Exupéry, pilote mythique de l’Aéropostale, auteur du célèbre «Petit Prince», avait visité la kasbah en 1927 et y avait rencontré le caïd Ahmed Tounsi, chef de la tribu des Aounates. Ce site magique lui inspira son ouvrage inachevé «Citadelle», publié en 1948, après son décès.
En 1988, une partie du film «Appointement with death» («Rendez-vous avec la mort»), adaptation d’un roman d’Agatha Christie réalisée par Michael Winner, a été filmé à la kasbah.
Il est bien triste que tout ce prestige soit aujourd’hui à l’abandon, livré à lui-même, ne bénéficiant d’aucune protection. Le comble? Vous n’allez pas me croire.
Alors que je déambulais à l’intérieur des murailles, je vois arriver une mobylette et une voiture… qui ont traversé la kasbah! La porte arrière de la bâtisse n’est plus qu’une grande ouverture dans la muraille, bordée de ciment, par laquelle passent des véhicules et des charrettes pour sortir par la grande porte d’entrée et rejoindre la route de l’autre côté!
La kasbah de Boulaaouane a été inscrite au patrimoine national en 1924. Un siècle plus tard, elle n’est que désolation. En 2019, le ministère de la Culture avait lancé un projet de réhabilitation, qui n’a malheureusement jamais été réalisé.
La route menant à la kasbah à partir du village de Boulaaouane, qui était dans un piteux état, est en train d’être élargie. J’ose espérer que c’est le début d’un programme de réhabilitation et de valorisation de ce précieux patrimoine.