La destruction en cours des habitations et commerces qui occupaient illégalement le littoral et le domaine maritime ont suscité des débats passionnés, souvent houleux, tant cette action coup de poing entreprise par les autorités touche à un point très sensible.
Car des souvenirs, nous sommes très nombreux à en avoir dans les endroits concernés par ces destructions. La plage de Dahomey, le petit village d’Imesouane, celui de Tifnit… C’est une partie de notre jeunesse qui est à jamais liée à ces endroits, que l’on affectionnait particulièrement pour leur côté sauvage, préservé du tourisme de masse, et seulement connus des locaux et de quelques amoureux de la nature et de l’océan. Alors bien sûr, voir les images de ces pelleteuses et de ces tractopelles associées à ces endroits est un crève-cœur.
Mais, parce qu’il y a un mais, on ne peut nier, pour peu que l’on connaisse ces endroits de longue date, qu’ils ne ressemblent plus du tout aux lieux pittoresques et préservés dont nous sommes tombés amoureux. Les quelques habitations de pêcheurs qui surplombaient l’océan ont été, au fil des décennies, bien vite entourées de constructions érigées à tour de bras.
Certes, acquérir un bout de terre dans ces endroits reculés et paradisiaques a constitué un rêve pour bon nombre d’entre nous. Mais, encore un mais, s’il y avait bien des bouts de terre à la vente tout le long de ce magnifique littoral, ils ne disposaient pas pour la majorité d’entre eux de titres fonciers. Moyennant un bout de papier et quelques centaines de milliers de dirhams, on pouvait même acquérir une grotte, l’une de celles qui servaient d’abri aux pêcheurs et qui, aujourd’hui, ont été aménagées en chambres d’hôtes de luxe et pullulent sur Airbnb, haut-lieu de la location journalière non déclarée au Maroc.
Au fil des ans, de vacances en vacances, on constatait la mort dans l’âme la fin d’un certain âge d’or d’un littoral sauvage et préservé. D’un petit village de pêcheur, Taghazout a grossi à vue d’œil à coups de cafés, de restaurants, de maisons d’hôtes, d’auberges, de surf camps, de yoga camps, d’immeubles R+7 à même la plage… Ce petit village qui était encore pittoresque dans les années 80 ne ressemble plus en rien à ce qu’il était. Tant mieux diront certains, il faut bien que le monde change et évolue, que des emplois soient créés, que l’on adapte l’offre à la demande. Fort bien, mais à condition que ces changements ne se fassent pas dans le chaos et l’anarchie.
Certains pleurent aujourd’hui la destruction totale ou partielle de ces endroits en accusant les pelleteuses, les tractopelles et les autorités publiques sans cœur et sans âme. Mais le fait est que ces endroits ont perdu une partie de leur âme il y a bien longtemps. C’est plutôt contre l’avidité et l’opportunisme qui ont dénaturé ces petits paradis naturels que l’on devrait s’insurger.
Parmi ceux qui ont vu leurs petits commerces illégaux détruits par cette action, on argue le fait que ces constructions font partie du patrimoine du pays et qu’il aurait fallu à ce titre les préserver… Cet argument qui n’en est pas un fonctionne peut-être pour des touristes qui ne connaissent pas le pays, mais nous savons tous très bien que deux murs peints à la chaux et un toit en tôle n’ont absolument rien de typique et ne relèvent d’aucun patrimoine.
Quant à l’argument du tourisme qui est également brandi par ces adeptes de l’économie informelle, la question se pose quant à l’image que l’on souhaite véhiculer de notre pays. Prétendre qu’Imesouane n’attirera plus de touristes en raison de ces destructions est faux, car s’il est une chose qui a fait la renommée de ce village à travers le monde, ce sont ses vagues exceptionnelles. Et cela, les vrais amateurs de surf le savent.
On ne peut que comprendre que la fin d’une longue période de laxisme, qui a favorisé des abus de toutes sortes, fasse mal à ceux qui en ont profité. Ce qui est souhaitable aujourd’hui, c’est que cette action des autorités publiques ne se cantonne pas uniquement à ces quelques endroits, mais soit appliquée désormais comme une règle immuable identique pour tous. À l’heure actuelle, les regards convergent notamment vers ces promoteurs immobiliers à l’appétit vorace qui ont fait main basse de longue date sur d’autres endroits naguère protégés.
Casablanca a commencé sa mue avec la libération de l’espace public des commerces illégaux, des terrasses de café et jusqu’à l’îlot Sidi Abderrahmane, libéré depuis quelques jours des charlatans qui s’agglutinaient comme des sangsues sur ce bout de rocher pour y faire leur beurre. Le chemin est encore long dans cette ville tentaculaire, gangrenée par les constructions illégales à la faveur de la corruption et du laxisme. Idem pour Mohammedia, où les riverains n’ont de cesse de dénoncer des projets immobiliers qui dévastent la nature, le littoral et jusqu’aux dunes qui servaient de zones de reproduction pour les oiseaux. L’explosion, il y a quelques mois, d’un dépôt de gaz à l’entrée de la ville aurait pu virer à la catastrophe au vu de la dangereuse proximité d’habitations avec des infrastructures pétrochimiques. Enfin, que dire de ces barres d’immeubles en front de mer dont les eaux usées se déversent… à quelques mètres du rivage.
Les autorités publiques ont du pain sur la planche, nous le savons tous. Mais s’il est une chose que l’on ne peut qu’applaudir, c’est ce début d’action pour commencer à faire régner l’ordre et la loi dans un pays où les citoyens passent leur temps à se plaindre du chaos et de l’incivisme tout en en profitant quand cela les arrange. Cerise sur le gâteau, ce sont ceux-là même qui critiquent et profitent des failles du système qui préfèrent aller «respirer» ailleurs les vacances venues, dans ces pays occidentaux dits «civilisés» dont ils vanteront, à leur retour au Maroc, le respect des lois, la propreté et l’ordre qui y règnent. Comprendra qui pourra…