Dans les rues marocaines, il n’est pas rare d’entendre une conversation mêlant plusieurs langues, parfois même au sein d’un seul échange. Arabe dialectal, amazigh, français, espagnol, anglais… cette diversité linguistique intrigue autant qu’elle impressionne. Le Maroc, carrefour des cultures depuis des siècles, semble avoir développé une aisance particulière avec le multilinguisme. D’où vient cette capacité, devenue une marque de fabrique, une évidence?
Un «patrimoine génétique»
«Le Maroc, à travers l’histoire, a toujours été un carrefour», affirme Chakib Guessous, socio-anthropologue, chercheur en sciences sociales et écrivain. Traversé par des voyageurs, commerçants ou colons venus d’ailleurs, le pays a vu se superposer langues et cultures au fil du temps. Bien avant l’indépendance, les Marocains parlaient déjà différentes variantes de l’arabe et de l’amazigh, mais aussi le français et l’espagnol dans certaines régions.
Écrivain, philosophe et essayiste, Driss C. Jaydane abonde dans le même sens. «Le brassage des populations, des cultures depuis pratiquement 5.000 ans a fait qu’on a été à la fois conquis et conquérants», résume-t-il. Ce métissage, selon lui, a profondément marqué la relation des Marocains aux langues. Le philosophe parle même d’un «patrimoine linguistique qui est presque un patrimoine génétique».
Un multilinguisme nourri par l’adaptation
Mais cette aisance ne s’explique pas uniquement par l’histoire. Pour Chakib Guessous, elle s’ancre aussi dans un besoin d’adaptation quotidienne. Il cite l’exemple de Marrakech ou Agadir, où nombre de vendeurs de souks parlent plusieurs langues sans formation académique. «L’écrasante majorité des personnes en contact avec les touristes n’ont pas suivi de cours de langue, mais parlent anglais, allemand, italien. C’est une question de nécessité et les Marocains s’adaptent aisément», nous explique-t-il.
Driss C. Jaydane met en avant une capacité phonétique particulière chez les Marocains à prononcer des sons complexes, facilitant ainsi l’apprentissage de langues étrangères dès le plus jeune âge. Cette compétence expliquerait aussi la capacité à jongler entre différents alphabets.
Une richesse… mais aussi un défi
Cette réalité linguistique n’est pas sans paradoxe. À la maison, les enfants parlent une langue. À l’école, une autre. Un décalage qui peut compliquer l’apprentissage, mais auquel les Marocains semblent s’habituer. «Ce multilinguisme est une richesse, mais aussi un défi», souligne Driss C. Jaydane, qui rappelle que les langues dominantes dans l’économie – le français et l’anglais – sont aussi les langues des élites et des médias influents. Les maitriser, c’est s’assurer un accès à ces univers.
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Le philosophe évoque d’ailleurs l’influence historique des médias marocains, qui, dès les années 70, diffusaient dans plusieurs langues, contribuant à cette diversité. «C’est une chose qu’on ne retrouve pas en France […] mais aux États-Unis et au Canada», dit-il, vantant une avance marocaine dans ce domaine.
Une évolution constante
Si l’enseignement des langues au Maroc semble aujourd’hui en recul, notamment en raison de la baisse généralisée du niveau d’enseignement, les jeunes continuent à apprendre autrement: via les médias et les réseaux sociaux notamment. «Les nouvelles générations parlent couramment quatre langues. Ça m’épate», constate Chakib Guessous.
Et demain? Guessous répond sans hésiter. «L’arabe classique, le darija, et l’amazigh vont gagner en importance», tranche-t-il. Il note cependant que le français perd du terrain au profit de l’anglais, notamment dans le monde des affaires. Jaydane, de son côté, exprime un souhait personnel: que ses petits-enfants parlent couramment amazigh. Il reste toutefois lucide: «L’anglais, le français, voire le mandarin continueront à dominer, car liés au commerce et à l’économie.»
Une clé vers le monde
Au final, les Marocains semblent à l’aise avec les langues grâce à un savant mélange d’histoire, d’ouverture, de nécessité d’adaptation et de diversité culturelle. Un atout précieux dans un monde globalisé. Comme le résume Driss C. Jaydane: «Une langue, c’est une clé». Avoir la chance d’en maitriser plusieurs, c’est pouvoir ouvrir de nombreuses portes dans le monde.








