Certains ont dit, peut-être avec une pointe de cynisme, que les Marocains ont célébré les événements du 31 octobre comme une victoire en foot. Ce cynisme est bien pardonnable. Car les voies qui mènent à l’exaltation du patriotisme ne sont pas toujours rationnelles. C’est pour cela qu’on les taxe d’impénétrables.
Que la victoire soit diplomatique ou footballistique, le résultat est le même: une explosion de joie, un torrent d’émotions, voire un petit retour à l’enfance. Il faudrait être fou pour s’en priver.
Ce soir du 31 octobre, je me suis dirigé vers un bistrot de quartier pour regarder le foot. Le temps d’un match, on en vient à embrasser des inconnus parce qu’on a partagé le plaisir d’une belle action, un beau but, ou parce qu’on aime le même club. Cette forme de camaraderie est unique au monde.
Alors ils sont tous là, les habitués et les inconnus. Ils fraternisent et chavirent déjà. Ce soir-là, pourtant, les écrans de télévision ne diffusent pas un match de foot, mais un autre «match»: celui du Conseil de sécurité de l’ONU, en train d’adopter sa désormais fameuse résolution 2797, consacrant la souveraineté marocaine sur le territoire dit du Sahara occidental.
«Il y avait de l’émotion dans l’air. Beaucoup de sincérité. Cela venait du cœur et le cœur ne triche pas. Chacun puisait au fond de lui-même un motif d’espoir, une raison personnelle de laisser exploser sa joie.»
2797, voilà une combinaison de chiffres qui va s’incruster dans nos mémoires. On la retiendra comme la date de naissance de nos enfants et des personnes qui nous sont chères. Certains vont sans doute l’utiliser au Loto pour tenter de décrocher le gros lot…
Revenons à notre soirée magique, d’autant qu’elle était complètement inattendue. La fête et les premières célébrations commencent avec les images du Conseil de sécurité. Certains n’en reviennent pas que les Nations unies aient, enfin, franchi le pas.
Soudain, silence. La télévision annonce un discours royal dans la foulée. Tout le monde retient son souffle. Les cœurs battent très fort. Les mots du souverain sont religieusement attendus et entendus. Ce discours, programmé à la dernière minute, est une manière d’entériner la bonne nouvelle. Alors les mots défilent, chaque mot est précis, ciblé. Plus aucun doute n’est permis. Les derniers sceptiques, et ceux qui n’avaient pas tout compris du jargon diplomatique des représentants de l‘ONU, peuvent enfin et définitivement exulter: mais oui, le Maroc «unioniste» a gagné. Il a même triomphé. Mais sans fanfaronner. Un triomphe modeste, qui n’insulte pas l’avenir. À l’image de ce discours royal au ton mesuré, qui ne jette la pierre à personne et tend la main à l’autre…
Inutile de vous décrire la liesse générale qui a suivi. À quelques mètres de moi, un ancien opposant politique avait les larmes aux yeux. Il y avait de l’émotion dans l’air. Beaucoup de sincérité. Cela venait du cœur et le cœur ne triche pas. Chacun puisait au fond de lui-même un motif d’espoir, une raison personnelle de laisser exploser sa joie. Ce match-là, il ne fallait pas le perdre. Ce match-là, il n’a pas duré 90 minutes mais 50 ans.





