Patrimoine en danger: le «Fondouk Labbata» à Fès s’effondre dans l’indifférence

Le «Fondouk Labbata», édifice mérinide emblématique de Fès el-Bali, sombre aujourd’hui dans l’abandon et les déchets. (Y.Jaoual/Le360)

Le 16/11/2025 à 18h51

VidéoAu cœur de Fès el-Bali, le «Fondouk Labbata», joyau du patrimoine mérinide, longtemps associé à l’activité de la tannerie et des artisans du cuir, se retrouve aujourd’hui livré à l’abandon, suscitant inquiétude et colère parmi les professionnels du secteur.

Depuis des siècles, les monuments de Fès la millénaire portent la mémoire d’une ville qui a su préserver son patrimoine urbain et artisanal. Mais certains de ces trésors architecturaux, faute de soins, perdent peu à peu leur éclat et s’enfoncent dans une détérioration inquiétante. Une tendance qui menace des pans entiers de l’identité architecturale et culturelle qui fait de Fès une référence mondiale en matière d’artisanat et d’histoire urbaine.

À quelques pas de Derb Bouhaj, dans la Talaa Kbira (qui veut dire la grande pente), le «Fondouk Labbata» surgit comme l’un des édifices emblématiques de l’époque mérinide. Jadis animé par les artisans du cuir et les maîtres tanneurs, il constituait un lieu de passage incontournable pour les visiteurs curieux de découvrir les savoir-faire traditionnels de la ville. Aujourd’hui, le contraste est saisissant: l’édifice est devenu un espace abandonné, envahi par les déchets et les gravats.

Pour de nombreux artisans interrogés par Le360, notamment les professionnels de la tannerie, la situation actuelle du fondouk est le résultat direct d’années d’abandon. Ils déplorent l’absence d’actions de préservation et de restauration, alors que ce bâtiment représente un fragment essentiel de leur mémoire collective et de l’histoire artisanale de Fès.

Des artisans dépités face à la dégradation

Selon plusieurs maîtres tanneurs, le fondouk se dégrade à vue d’œil. L’abandon prolongé l’a transformé en ruine, alors qu’il témoignait encore récemment de l’intense activité artisanale liée au cuir. Ce patrimoine vivant, autrefois vibrant, s’est mué en un espace déserté, menaçant de s’effondrer sous l’effet du temps et du manque d’entretien.

Ahmed Idrissi Ben Saleh, artisan traditionnel, explique que de nombreux touristes s’arrêtent régulièrement devant le bâtiment, attirés par la beauté de sa façade. «Mais une fois à l’intérieur, la déception est immense: les galeries sont jonchées d’ordures et la structure intérieure est fortement détériorée», regrette-t-il. Un contraste douloureux entre l’apparence extérieure encore séduisante et le délabrement profond du site.

Cette situation, selon les artisans, nuit non seulement à l’image de la tannerie traditionnelle, mais aussi à celle de Fès el-Bali (le centre historique de la ville), dont l’économie dépend largement du tourisme culturel et artisanal. Le laisser-aller autour d’un édifice aussi symbolique leur semble incompréhensible.

Un patrimoine du XIVème siècle laissé sans perspective

Abdellah Arfaoui, président de l’Association des maîtres tanneurs de Fès, rappelle que le fondouk remonte au XIVème siècle, à l’époque mérinide. Il abritait environ 60 échoppes et comptait parmi les centres artisanaux les plus dynamiques de la médina jusqu’à la fin des années 1980. «Il constituait un poumon économique pour des dizaines de familles», souligne-t-il.

Une tentative de réhabilitation avait été lancée en 2018, mais la pandémie de Covid-19 a interrompu toutes les opérations. Depuis 2022, plusieurs correspondances ont été adressées aux autorités compétentes pour relancer le projet de restauration, mais sans résultat tangible à ce jour. Le site demeure dans le même état de dégradation, malgré les alertes répétées.

Pour Arfaoui, maintenir le fondouk dans cet état revient à défigurer l’héritage immatériel de Fès. «Nous appelons à une intervention urgente pour sauver ce monument avant qu’il ne soit trop tard», insiste-t-il, évoquant le risque d’un effondrement ou d’un abandon définitif.

Un appel pressant pour sauver une pièce maîtresse de la tannerie

De son côté, Abdennasser El Amrani, président de l’Association des maîtres tanneurs de Chouara, exprime une profonde désolation face à l’état de ce bâtiment historique, devenu un dépotoir au cœur d’un des parcours touristiques les plus fréquentés de la médina. «Les visiteurs viennent à Fès pour ses monuments et ses savoir-faire. Trouver un tel lieu dans ces conditions porte un coup dur à l’image de la ville», affirme-t-il.

Il rappelle que la tannerie traditionnelle constitue une singularité mondiale propre à Fès, ce qui renforce l’importance du «Fondouk Labbata» au sein de cet écosystème artisanal unique. Sa restauration n’est pas seulement nécessaire pour sauvegarder un lieu, mais pour préserver un maillon essentiel de la chaîne qui fait la renommée internationale des cuirs de Fès.

Les artisans appellent ainsi à une mobilisation rapide et collective -autorités locales, ministère de la Culture, associations- pour redonner vie à ce patrimoine en péril et le transmettre, intact, aux générations futures.

Par Youssra Jaoual
Le 16/11/2025 à 18h51