Ça se passe dans la bourgade de Hagen, en Allemagne, juste au sud de Dortmund. Dans un commerce du centre-ville, ou plutôt du centre-bourgade, un client mécontent s’accroche avec un vendeur – que vend-il ?... je n’en sais rien, cessez de m’interrompre – donc le client s’énerve, le ton monte et soudain, le mot vole, tranchant, trisyllabique, irréfutable :
- Musulman !
Il faut dire que le vendeur est d’origine turque, ça se voit peut-être sur son visage, ou peut-être arbore-t-il un ticheurte avec la tronche virile d’Atatürk imprimée dessus, toujours est-il que c´est indéniable: il vient effectivement des rives du Bosphore. D’où le lazzi :
- Musulman !
Notre ami turc aurait pu embrocher l’impertinent et le transformer séance tenante en kebab absolument pas halal, mais pas du tout: il est fils de grande tente, civilisé, amoureux du droit et des règlements, comme la plupart des Ottomans. C’est donc tout naturellement qu’il relève le nom du client et porte plainte contre lui. Motif : «Injures publiques. »
La cour prend son temps – ne dit-on pas de la justice qu’elle se hâte lentement ? – elle consulte des spécialistes, des historiens, des lexicographes et elle finit par rendre, sereine, son jugement : le mot «Musulman» ne constitue nullement une injure. Circulez, y a rien à voir!
(J’ai lu tout cela dans le quotidien allemand Bild daté du 30 octobre dernier, qui cite lui-même le journal local Westfalenpost. Vous me demandez pourquoi je lis Bild, je vous réponds que je me trouvais en Allemagne, je n’allais quand même pas lire Le Matin du Tadla chez nos amis Teutons, non ?)
Revenons à nos moutons. Après avoir lu cet entrefilet dans le Bild, j’ai longtemps regardé au loin des arbres parés des superbes couleurs de l’automne sans savoir quoi penser du jugement dont je viens de vous résumer la teneur. Vous en pensez quoi, vous? Il est clair que l’intention du client mauvais coucheur était d’offenser le Turc. Et pourtant, les juges ont estimé qu’il n’y avait pas d’offense puisque être musulman n’est pas, en soi, déshonorant. Mais que se serait-il passé si l’Allemand irascible avait traité notre ami stambouliote de «Juif» ? Il aurait sans doute été condamné et il l’aurait bien mérité, et pourtant il n’est pas plus déshonorant d’être juif que d’être n’importe quoi d’autre. Ah, mais il y a le poids de l’Histoire... Arrêtons-là cette chronique. Tout cela me rend triste. Et si on décidait, une fois pour toute, de ne plus faire aucune référence aux religions des uns et des autres? Si on décidait que tout cela n’a rien à faire dans la sphère publique? Le monde serait bien plus paisible, non ?
Si jamais un enfant d’Ankara vous fait des misères, traitez-le de Turc, tout simplement. Il répliquera en vous traitant de Marocain et tout cela finira en éclats de rire. Pas la peine d’impliquer Dieu et la religion dans l’affaire, et encore moins la justice, qui a d’autres chats (probablement athées) à fouetter.