Vous voulez retomber en enfance? Allez au stade. C’est l’expérience que j’ai tentée il y a une semaine. Et pas n’importe où, à Meknès s’il vous plaît, l’éternelle cité ismaïlienne. Le stade d’honneur est une boite d’allumette coincée au milieu des immeubles du centre-ville. On y entre par des trous de souris creusés ici et là, à peine visibles, et qui donnent aux gradins un aspect de fourmilière.
Ce n’est pas le Bernabeu ou la Camp Nou, mais c’est mieux encore: vous pouvez faire un sondage autour de vous, les Meknassis (ou M’kansa, comme ils aiment se faire appeler) vous diront que le stade d’honneur est le plus beau au monde. Et ils ont raison, surtout quand le club local, le CODM (prononcez «Codém»), gagne un match couperet.
Le CODM a longtemps végété dans les divisions inférieures du football marocain. Soudain, il s’est réveillé. En deux saisons, il a effectué deux montées express: de la 3ème division à la 2ème, puis en élite, la fameuse Botola. Ce retour en lumière rend les M’kansa littéralement fous. Ils font de l’objectif maintien une question de vie ou de mort. Ils sont comme ce brave homme qui a fait de la prison par accident: il est prêt à tout sauf à y retourner. Tout sauf ça, mon frère.
Pour ne pas retourner à l’étage inférieur, ils doivent gagner des matchs. Comme le début de saison a été décevant, ils ont viré leur coach et l’ont remplacé, comme l’annonce fièrement le speaker du stade, par le «Haj Abdellatif Jrindou», un ancien footballeur reconverti en entraineur très bon, et surtout très pieux. On dit qu’il est réglé comme une horloge suisse : de la mosquée au stade et du stade à la mosquée.
Aujourd’hui, c’est le premier match officiel de Haj Jrindou avec le CODM. En face, c’est l’IRT, le club de Tanger, un concurrent direct pour la course au maintien. C’est un match à six points, selon la formule consacrée. Le petit stade est plein comme un œuf. Les ultras du Codém changent de tifo comme les invitées changent de tenue pendant un mariage. Ils sont déchainés, inarrêtables. En face, un groupe de fans venus de Tanger, avec le sigle de l’IRT frappé de la figure d’Ibn Battouta, tambourinent et chantent à la gloire de la ville du «Boughaz».
Finalement, le spectacle est plus dans ces gradins multicolores, enflammés, que sur l’aire de jeu. Le match est serré, fermé, pour ne pas dire terne. À la mi-temps, le score est nul et vierge et les M’kansa, qui doivent absolument gagner ce match, ont désormais peur de le perdre.
À la pause, donc, un homme avec ses deux enfants circule dans les travées de la tribune d’honneur: «Un but, rien qu’un petit but, ya sidi rabbi amine!». La prière sera-t-elle exaucée?
La 2ème mi-temps sera une copie conforme de la 1ère: sans éclat. Haj Jrindou longe nerveusement la ligne de touche et lève parfois la tête, comme pour implorer le ciel de lui venir en aide. Quand les solutions techniques manquent, il reste la prière. Et cela marche! À quelques minutes du terme, et au bout d’une action anodine, le ballon trouve le moyen de terminer sa course dans les filets tangérois. Inutile de vous décrire le spectacle. Le but fait l’effet d’une bombe.
Rien que pour ce moment de joie et de partage absolument exceptionnel, il fallait se déplacer à Meknès. Les congratulations tombent de partout. Les M’kansa sont au bord des larmes, pour ne pas dire de la crise cardiaque. Mais il faut tenir encore quelques minutes, prier, serrer les fesses à chaque début de tentative tangéroise…
Au bout, bien sûr, il y a la victoire, les trois points. À ce moment-là, celui du coup de sifflet final, tu comprends que c’est la chose la plus importante au monde. Ça vaut un voyage en première classe à Disneyland, le paradis de l’enfance. Carrément, mon frère. Et merci Meknès!