Ma semaine

Tahar Ben Jelloun.

ChroniqueCe qu’a fait le poissonnier Abdelilah est assez révolutionnaire: supprimer les intermédiaires, ces parasites qui encombrent les commerces et qui pullulent dans le pays dans pratiquement tous les domaines.

Le 03/03/2025 à 12h05


1- J’ai suivi l’affaire du poissonnier de Marrakech, Abdelilah El Ajjout, avec intérêt et sympathie. Ce jeune homme part du principe que «le peuple marocain est intelligent et compréhensif». Il a raison. Ce peuple, comme je l’ai souvent écrit dans ces chroniques ou dans mes romans, mérite qu’on le respecte, qu’on tienne compte de sa condition et de sa valeur. Il faut aussi apprendre à l’écouter et tenir compte de ses revendications. C’est un peuple qui connaît la sagesse et la patience telles qu’elles sont dites dans le Coran.

Ce qu’a fait Abdelilah est assez révolutionnaire: supprimer les intermédiaires, ces parasites qui encombrent les commerces et qui pullulent dans le pays dans pratiquement tous les domaines. Nous avons malheureusement hérité ces pratiques de la France qui a laissé faire ce système où les intermédiaires «font leur beurre» en toute légalité.

Abdelilah raconte qu’il s’adresse directement aux pêcheurs pour leur acheter leur poisson. Comme il l’a dit en donnant des exemples: «J’achète à 4 dirhams, je vends à 5. J’achète à 3 dirhams, je vends à 4». Autrement dit, il se contente d’une petite marge qui lui permet de vivre correctement.

Or, il casse les lois du commerce en passant outre les «smasrias», ceux qui se placent et font barrage entre le producteur et l’acheteur. Ils font monter les prix pour empocher leurs commissions. Et c’est le consommateur qui paie cette augmentation.

Ce que vient de faire le jeune poissonnier, on peut le généraliser. On se rendra alors compte que ce «trouble-fête», cet homme sincère et intelligent, casse les règles, introduit un grain de sable dans la machine et, de ce fait, devient l’homme à abattre.

Au début, le service d’hygiène s’en est occupé et a ordonné la fermeture de son commerce. En fait, d’après Abdelilah, ce n’était qu’un prétexte pour mettre fin à sa démarche populaire. Car le peuple est avec lui. J’ai vu les vidéos où il s’exprime clairement. Entre-temps, le wali de Marrakech a eu la bonne idée de le recevoir, et le voilà libre de vendre son poisson au prix qu’il choisit.

Ce jeune homme a compris un point important: le pouvoir d’achat du Marocain est gangréné par les parasites. Il est temps de réglementer le commerce du poisson, en se basant sur la méthode Abdelilah. C’est à la suite de ce fait que le président du Conseil de la concurrence, Ahmed Rahhou, s’est penché sur ce qu’il appelle «l’intermédiation abusive» afin de mettre de l’ordre et de la logique dans ce commerce.

La foule très nombreuse, accourue devant la petite boutique du poissonnier, en dit long sur la question de la cherté de la vie. Il n’y a pas de mystère.

Je me souviens d’une émission sur une télé française où l’on démontrait qu’entre le producteur de lait et le yaourt, il n’y a pas moins de six intermédiaires, ce qui fait monter le prix d’achat à un prix qui ne correspond pas à la réalité du produit fini.

«Le peuple marocain est intelligent, malin. Pour ne plus être dépouillé par des margoulins, il trouve des solutions à la vie chère et se débrouille. C’est ce qu’on appelle l’informel.»

Dans ma dernière chronique, j’évoquais les inégalités dont sont victimes les Marocains. Système libéral. Libéralisme sauvage. Et en avant pour atteindre la fortune.

Le peuple marocain est intelligent, malin. Pour ne plus être dépouillé par des margoulins qui savent s’y prendre pour vendre un produit à cinq fois son prix de revient, il trouve des solutions à la vie chère et se débrouille. C’est ce qu’on appelle l’informel. Or, les autorités des grandes villes mènent une lutte contre les petits commerces dits «informels». Cela s’appelle «la modernisation». Je dirai plutôt «l’appauvrissement».

L’ouverture ces dernières années de restaurants de poisson à des prix très abordables connaît un grand succès. À Tanger, j’en connais au moins trois. Les propriétaires sont des pêcheurs. Leur poisson est forcément frais. Ce sont des restaurants populaires, pour les familles. Les nappes y sont en papier et l’alcool n’y est pas servi.

L’autre jour, un touriste français m’a demandé: «On m’a parlé d’un restaurant de poisson excellent et pas cher. Il a un nom du genre Omega… Pourriez-vous m’indiquer son adresse?» Si la réputation de ces restaurants, qui ne désemplissent pas, arrive jusqu’aux oreilles des étrangers, c’est qu’il s’agit là d’un succès mérité.

2- Finalement, c’est la sagesse qui l’a emporté: cette année, il n’y aura pas de sacrifice de mouton à Aïd Al-Adha. Décision royale. Excellente décision, si l’on veut bien constater que nous vivons la septième année d’une dure sécheresse. Certes, il a plu dans certaines régions, mais pas assez ni partout, et les barrages ne sont pas remplis de manière satisfaisante.

D’un autre côté, rien n’empêche des familles qui le veulent de se faire plaisir et d’acheter de la viande pour des repas bien garnis.

3- On n’ose pas penser à la tragédie que préparait le gang des terroristes qui ont fait allégeance à l’immonde Daesh. Pour la première fois, ils avaient pratiquement quadrillé tout le territoire. On n’imagine pas ce que cela aurait donné s’ils avaient réussi leur funeste entreprise.

En tant que simple citoyen qui aime son pays et qui le défend, je demande à ce que le procès de ces voyous soit public et que la justice évoque devant tous les Marocains ce que les ennemis de notre pays préparaient.

Le verdict de la justice est important. Les juges et les avocats feront leur travail. Mais le plus important, c’est de donner à ce procès assez d’espace médiatique pour que tout le monde sache ce qui se passe dans la clandestinité et que la paix et la stabilité dans notre pays sont menacées.

J’ai vu des images de l’arrestation des terroristes. Dans la rue, les gens applaudissaient. Jamais le peuple marocain n’a eu la moindre empathie pour ces individus dont le projet est de ruiner et même de détruire le pays.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 03/03/2025 à 12h05