Le 8 mars a donné lieu à une grosse polémique sur la Toile en raison de la publication de la couverture du magazine Femmes du Maroc. A l’occasion de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes, le magazine a choisi de mettre en avant huit femmes marocaines, issues du monde de la mode, de l’entreprenariat, des réseaux sociaux ou encore de la télévision, censées représenter les femmes du Maroc et le Maroc des femmes.
Les femmes y sont habillées à l’occidentale, dans des tons blancs, beiges et nudes, les cheveux dénoués. Il n’en fallait pas plus pour déclencher un tollé en rapport avec la représentation de la femme marocaine.
«Trop bourgeoises», «trop occidentalisées», «trop retouchées», «pas représentatives des Marocaines», les huit égéries du mois en ont pris pour leur grade. Parmi les critiques phares, le manque de diversité de la couverture où aucune femme voilée n’apparaissait. Les internautes y ont ainsi vu une volonté de distordre l’image des Marocaines, en cédant aux sirènes de l’occidentalisation et en donnant à voir une unicité qui n’existe pas, celle des femmes non voilées.
Autre critique, l’absence de tenues traditionnelles, car à lire les commentaires qui ont nourri ce bad buzz, on ne peut vraisemblablement pas donner une représentation de la femme marocaine sans son caftan. Les deux seraient indissociables.
A ces femmes à qui l’on reproche de représenter Anfa Sup’ et non le Maroc, les critiques auraient ainsi préféré voir les mères des Lions de l’Atlas, des Marocaines traditionnelles, des femmes du peuple… et surtout des femmes en habit traditionnel.
Chacun a le droit de penser ce qu’il veut de cette couverture, qui à défaut de plaire a réussi le pari de faire parler d’elle et de créer un véritable débat qui ne manque pas d’intérêt.
Cette polémique a ainsi été l’occasion d’établir plusieurs constats en rapport avec cette journée du 8 mars, à commencer par celui de l’enjeu énorme qui est encore et toujours associé à la représentation des femmes.
Le déchainement de critiques qu’a entrainé l’image de ces femmes rend très bien compte du poids sociétal qui pèse sur les épaules des Marocaines et du rôle qui leur incombe au sein de la société. Constamment jugées, comme ces femmes en couverture, leurs moindres faits et gestes sont passés à la loupe de la critique. Trop maquillée, trop moderne, pas assez beldia, trop voilée ou pas assez, trop émancipée, trop libérée, trop occidentalisée, pas assez bent darhoum… rien ne va jamais comme il faut.
Tenter de représenter sur une couverture l’incarnation de la femme marocaine est un doux rêve qui ne saurait devenir réel étant donné la complexité du statut de la femme au Maroc.
Outre son image, sur laquelle tout le monde veut avoir le contrôle et au sujet de laquelle tout le monde s’octroie toujours le droit d’avoir quelque chose à redire, un autre constat s’impose, celui de l’association de la femme marocaine à l’image de son pays.
En bon produit marketing, on attend ainsi d’elle qu’elle représente son pays, sa culture, son patrimoine, et qu’elle en soit digne. Sacrée pression et sacré challenge.
Mais attend-t-on la même chose des hommes marocains? C’est la question qu’on se pose. Car si d’aventure, une couverture de magazine avait été consacrée à des hommes marocains, pour une raison ou pour une autre, aurait-on été aussi durs avec eux, aussi critiques sur leurs apparences? Aurait-on débattu sur leur manière de se vêtir? Aurait-on attendus d’eux qu’ils s’habillent de manière traditionnelle? Qu’ils portent un terbouche et une jellaba pour mieux incarner l’homme marocain?
Pas sûr… in fine, cette polémique 2.0 a eu le mérite de rappeler, en cette journée internationale de lutte pour les droits des femmes, à quel point la femme marocaine est encore soumise aux diktats de la société. De son image, la notion d’honneur est indissociable et pour peu qu’elle ne parvienne pas à contenter tout le monde, à plaire à tous, elle manque alors à sa mission première, représenter dignement ceux qui s’accaparent son image pour briller à travers elle.
A contrario, la même couverture qui a été relayée à foison sur la Toile, a aussi été récupérée par l’extrême-droite en France, qui s’en est servi pour mieux justifier l’interdiction du voile en France. «Regardez les femmes au Maroc! Celles qui sont mises en avant dans la presse et qui représentent donc un idéal ne sont pas voilées, elles! Alors que chez nous en France, on débat encore sur le port du voile dans l’espace public!» a-t-on ainsi pu lire en substance.
Intéressant que cet effet miroir où une même image suscite des positions diamétralement opposées mais qui dans les deux cas servent un même intérêt: instrumentaliser la femme au service d’un discours politique.