Le mariage (et le divorce) à l’ère de l’immédiateté

Zineb Ibnouzahir.

ChroniqueToute réflexion faite, s’intéresser à la cause des divorces s’avère secondaire, car il conviendrait peut-être davantage de se demander pourquoi est-ce qu’on souhaite se marier en 2025? Si la procréation est la réponse qui fuse quand on sonde les uns et les autres, l’envie de se marier devient moins évidente dès lors qu’on aborde le sujet épineux des compromis qui vont de pair avec le mariage.

Le 09/11/2025 à 14h55

Au Maroc, certains s’alarment de la hausse du nombre de divorces depuis la publication par le Haut-commissariat au plan de son rapport annuel «La femme marocaine en chiffres», publié au titre de l’année 2025. Entre autres précieuses informations sur la gent féminine marocaine, on apprend ainsi que les divorces sont en augmentation depuis une décennie, passant de 44.408 cas en 2014 à 65.475 en 2024, mais aussi que la proportion des divorces à l’amiable a elle aussi augmenté, passant de 63,1% en 2014 à 89,3% en 2023.

Face à ces chiffres, deux façons de voir les choses s’opposent. D’un côté, ceux qui déplorent la mort lente des traditions familiales au Maroc au profit d’une occidentalisation des mœurs, et donc d’une perversion des valeurs musulmanes par des modes de vie importés. Le couple marocain serait ainsi mis à l’épreuve d’un grand écart culturel, avec d’un côté les traditions assimilées à la stabilité, et de l’autre, des valeurs vraisemblablement importées qui prônent l’émancipation, l’autonomie et l’indépendance des femmes. On observera aussi que selon ce mode de pensée, les hommes incarnent les traditions et le souhait de leur perpétuation tandis que les femmes, elles, sont considérées comme les actrices du changement pour ne pas dire du bouleversement au sein des couples. D’ailleurs, argue-t-on, depuis que les femmes ont le droit de divorcer, c’est-à-dire depuis 2004, elles usent voire abusent de ce droit, vraisemblablement de manière irréfléchie.

Face aux partisans de ce point de vue, il y a ceux qui voient dans cette augmentation du nombre de divorces, et surtout du nombre de séparations à l’amiable, le signe de la bonne santé de la justice et de son bon fonctionnement. C’est le cas de notre ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, qui a tenté d’apaiser les esprits échauffés par ce constat en leur rappelant quelques fondamentaux qu’on a tôt fait de perdre de vue quand on décide d’observer la société marocaine sous le prisme unique du fameux «c’était mieux avant», pouvant être remplacé par le tout aussi célèbre «les choses ne sont plus ce qu’elles étaient». Pour le ministre, rien d’alarmant à ce phénomène qu’il invite à considérer comme un indicateur à prendre en compte pour mieux analyser et comprendre les raisons qui poussent un couple à divorcer en 2025. En effet, c’est là la question cruciale: pourquoi divorce-t-on?

Les réponses, qu’elles soient économiques, sociales ou culturelles, permettraient-elles pour autant de clore un débat intrusif qui s’invite dans la sphère privée? Ouahbi ne s’y trompe pas et rappelle ainsi à celles et ceux un peu trop prompts aux jugements à l’emporte-pièce que la séparation relève de la liberté personnelle et de la vie privée, mais surtout, qu’elle n’est pas un crime. «Laissons les gens vivre», a-t-il lancé à l’adresse de ses détracteurs en répondant à une question orale lors d’une séance à la Chambre des représentants, le 4 novembre.

Autre écueil ce jour-là pour le ministre, devoir justifier le fait que 97% des divorces le sont pour discorde et que dans la majorité des cas, ce sont les femmes qui sont à leur initiative. Oui c’est un fait, la femme dispose aujourd’hui d’un droit et elle a décidé d’en user. Qu’y a-t-il de mal à cela?

En écoutant les uns et les autres, il se dégage cette impression très désagréable que la femme est encore perçue comme cet être inconstant, soumis aux aléas de ses hormones, doté de peu de jugeote et de logique, si prompt à prendre des décisions hâtives sans mesurer les conséquences de ses actes? Et quand bien même celle-ci culminerait au sommet de l’échelle alimentaire de son entreprise, brillerait par ses compétences, ses diplômes ou ses médailles, il n’en demeurerait pas moins que dans la sphère privée, on attend d’elle qu’elle fasse profil bas, qu’elle revienne à sa fonction initiale en s’occupant de son intérieur, de son mari et de ses enfants. Certaines le font très bien en ce qu’elles acceptent ce challenge. Ce sont des femmes qui forcent l’admiration et le respect. Mais d’autres n’y parviennent pas ou ne l’acceptent tout simplement pas… et elles en ont le droit.

Qui sommes-nous pour les juger et surtout, pourquoi ne remet-on pas en question la façon dont l’homme aborde la question et sa part de responsabilité dans l’échec d’un mariage? Il est trop facile et surtout malhonnête de résumer les chiffres du HCP au simple fait que les femmes sont celles qui ont le plus recours au divorce à l’amiable afin de leur coller – sans le dire mais en le pensant très fort – l’étiquette de la coupable et en attribuant au mari le rôle de victime obligée de consentir.

C’est là toute la complexité de la réalité marocaine confrontée à l’union de la modernité et des traditions qui parfois ne se mélangent pas, à l’image de l’huile et l’eau: on veut préserver coûte que coûte une certaine idée de notre société et de notre culture, on n’a toutefois rien contre quelques avancées dans le sens de la modernité, on exige aussi plus de justice, mais on a du mal à accepter les conséquences de ces avancées sur notre quotidien.

Cette tension s’est d’ailleurs exprimée haut et fort et de manière totalement déplacée à la Chambre des représentants, il y a quelques jours. En plein débat sur le projet de loi de finances (PLF), alors que la députée Soukaina Lahmouch avait la parole, Driss Sentissi, président du groupe Haraki (Mouvement populaire) l’interpelle alors en lançant «ma prière, c’est qu’elle nous ramène un beau gosse». La gêne est palpable dans l’assistance mais immédiatement balayée par la réponse de Nadia Fettah, la ministre de l’Économie et des Finances. «Pourquoi pensez-vous que c’est tout ce que veulent les femmes?», a ainsi rétorqué celle-ci à l’adresse du député. La séquence est devenue virale au point que Driss Sentissi a tenté de se justifier en expliquant qu’il faisait en fait allusion à la progéniture de l’oratrice et non à un prétendant. Mais dans un cas comme dans l’autre, pourquoi en pleine commission des finances vouloir rappeler cette députée – la plus jeune de l’histoire soit dit en passant- à sa condition de femme, de mère ou d’épouse?

Mais si l’exclamation du député a fait réagir la Toile, c’est bien la réponse de la ministre qui a peut-être entraîné le plus de réactions contrastées. En effet, à lire les très nombreux commentaires sur les réseaux sociaux, sa réaction serait représentative de cette nouvelle posture féministe occidentalisée qui nuit aux mœurs marocaines et brise les mariages.

Toute réflexion faite, s’intéresser à la cause des divorces s’avère secondaire, car il conviendrait peut-être davantage de se demander pourquoi est-ce qu’on souhaite se marier en 2025? Si la procréation est la réponse qui fuse quand on sonde les uns et les autres, l’envie de se marier devient moins évidente dès lors qu’on aborde le sujet épineux des compromis qui vont de pair avec le mariage. Savoir s’adapter à l’autre, faire passer parfois (voire souvent) ses envies avant les siens, apprendre à céder sur certains points, négocier, et avant toute chose, se respecter même aux heures les plus sombres du couple… c’est une autre histoire, soumise à l’épreuve d’une nouvelle façon de vivre et de penser qui supporte de moins en moins les frustrations à l’ère moderne de l’immédiateté.

Le Maroc n’évolue pas en marge du monde mais en harmonie avec son temps. Ainsi, plutôt que se lamenter sur un temps révolu qui avait certes du bon mais qui était aussi marqué par les nombreuses injustices commises envers les femmes dans le cadre de mariages malheureux, il convient aujourd’hui d’accepter le changement, sans jugement, en espérant qu’il se fera dans le sens des libertés individuelles et de leur respect, de la dignité et de l’équité dues tant à l’homme qu’à la femme.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 09/11/2025 à 14h55