Est-ce possible ? Oui. C’est ce qu’on appelle un déni de grossesse. Un phénomène troublant, déroutant, mystérieux, même pour la médecine. Une femme est bel et bien enceinte, mais n’en a aucune conscience. Elle découvre la grossesse à un stade très avancé… voire au moment de l’accouchement.
Une grossesse invisible… même pour la mère. Le plus étonnant, c’est que cette grossesse ne présente aucun signe habituel. Pas de nausées. Pas de ventre arrondi. Pas de seins gonflés. Pas de mouvements de fœtus ressentis. Souvent, les menstruations continuent, parfois sous forme de saignements légers, donnant l’impression d’un cycle toujours actif. Le ventre, lui, reste plat ou s’arrondit légèrement de façon uniforme, comme s’il s’agissait d’une simple prise de poids.
Dans certains cas, l’utérus ne se projette pas vers l’avant, comme dans une grossesse classique, mais reste en position haute, derrière les intestins, dissimulant ainsi le fœtus dans la cavité abdominale. Résultat: rien ne se voit. Le ventre ne révèle rien. Le corps garde le secret.
En fait, le corps se tait… parce que l’esprit ne peut pas entendre.
Le déni de grossesse est une alliance entre le corps et le psychisme. Inconsciemment, la femme refuse cette grossesse: elle est impensable, insupportable, indésirable. Son cerveau fait barrage, son esprit la refoule… alors, le corps suit, il se fait discret, invisible. Il protège.
«C’est un mécanisme de défense inconscient, une réponse extrême à une réalité perçue comme dangereuse ou impossible à intégrer.»
— Soumaya Naamane Guessous
Il ne s’agit ni de choix, ni de mensonge. Ce n’est pas une stratégie. C’est un mécanisme de défense inconscient, une réponse extrême à une réalité perçue comme dangereuse ou impossible à intégrer. Un choc intérieur que le psychisme gère à sa manière: en niant.
En neuf ans, j’ai moi-même rencontré trois femmes, mères célibataires, confrontées à ce phénomène. Trois histoires qui m’ont poussée à en savoir plus.
Khadija, 19 ans: «J’étais amoureuse. Nous avons été ensemble deux fois. Je pensais qu’en gardant ma virginité, je ne risquais rien. Un jour, j’ai eu des douleurs atroces dans le bas-ventre. Ma mère m’a emmenée aux urgences. Le lendemain, j’ai accouché.»
Des cas rares, mais bien réels. La littérature médicale parle de 2 à 3 cas pour 1.000 grossesses. Il n’y a pas de profil type: des femmes analphabètes, à peine lettrées ou diplômées, aisées ou démunies. On retrouve des femmes célibataires, d’autres mariées et déjà mères de plusieurs enfants, des femmes en situation de précarité affective ou économique...
Aucun facteur n’est identifiable, ce qui confirme que le cerveau humain reste insondable, imprévisible, capable de stratégies radicales pour survivre à une réalité perçue comme menaçante.
Un choc émotionnel, un cataclysme social!
Imaginez, vous vous réveillez un matin, vous prenez votre café, vous sentez une douleur, vous allez consulter… et quelques heures plus tard, vous tenez un bébé dans vos bras. Un tsunami émotionnel!
Et ensuite ?
Si la femme est mariée, on l’accuse de mensonge, d’avoir caché sa grossesse. Si elle est célibataire, c’est la descente aux enfers: rejet familial, violences, expulsion, fuite, abandon de l’enfant… Et surtout, personne ne croit au déni.
Certains bébés naissent en bonne santé. Mais dans le cas des mères célibataires, l’accouchement se fait souvent dans la clandestinité, sans assistance médicale, dans la solitude, parfois, dans des conditions si précaires que la vie de l’enfant est en jeu.
C’est ainsi que certains nouveau-nés sont abandonnés dans la rue, faute d’alternative, de soutien, de compréhension.
Le déni de grossesse est un phénomène réel, documenté, reconnu. Il révèle la puissance du psychisme humain, de ses mécanismes de survie, de son immense capacité à taire ce qui le traumatise, ce qu’il ne peut affronter. Et il nous rappelle, avec force, que derrière chaque corps qui se tait, il y a un cœur qui hurle en silence.





