De passage à Tétouan, et n’ayant rien de mieux à faire, je décide d’aller chez le coiffeur. Il doit bien y en avoir un dans cette ville, raisonné-je, vu que les hommes n’y sont pas tous hirsutes. Ils ont même tendance à être élégants et bien rasés, ce qui a sans doute quelque chose à voir avec le fait que la ville fut longtemps la capitale du Maroc espagnol. Le paseo vespéral exige de la tenue et de la propreté.
Je vous entends protester : « En quoi les aventures de Tintin à Tétouan à la recherche d’un barbier nous intéressent-elles ? Elles n’ont quand même pas une importance planétaire. »
Vous avez raison, exigeants lecteurs, mais ayez un peu de patience, cette anecdote va quelque part et ne se perdra pas dans les sables du désert.
Donc, j’arpente d’un pied ferme la ville que les Espagnols avaient surnommée ‘paloma blanca’ en quête d’un figaro que je finis par trouver place El Feddan. C’est une minuscule échoppe, humble et sans fioritures, à l’enseigne de ‘Chourouq’ (ou quelque chose comme ça). L’homme doux et triste qui y officie m’installe dans un fauteuil datant de la puberté de Franco et bientôt, les ciseaux volent et virevoltent dans ma chevelure.
Toutefois, une chose m’inquiète : le coiffeur ne regarde pas mes cheveux. Par un jeu de miroirs assez complexe, il est absorbé par un télé-feuilleton probablement mexicain doublé dans notre bonne vieille darija. Carlos et Isabella sont en pleine dispute parce que Pedro, le meilleur ami de Carlos, fait du bringue à Daniella, la pire ennemie d’Isabella – laquelle semble habiter au bord d’une piscine (la bissine, dans le doublage). Le suspense est insoutenable – non pas celui qui sous-tend la dispute entre Carlos et Isabella, mais celui qu’on pourrait exprimer ainsi : à quel moment mon coiffeur finira-t-il par m’arracher l’oreille ou me couper le nez à force de faire le grand écart entre la bissine mexicaine et la boutique de Tétouan ?
Trêve de suspense. Jamais mes cheveux n’ont été aussi bien coupés, ni aussi vite, que par le petit bonhomme de Tétouan. Un seul mot : bravo ! Et tout cela pour le dixième de ce que me réclame mon prétentieux coiffeur néerlandais.
En sortant sur la place El Feddan, fier de ma nouvelle coupe, je ne cessai de penser à ce que je venais de vivre. Pour que nous travaillions bien, nous autres Marocains, faut-il d’abord nous ouvrir une fenêtre sur le monde, nous faire miroiter d’autres vies que la nôtre, nous bercer de rêves (ou d’illusions) ? La vie quotidienne est-elle si dure que ça ? Je ne sais pas. Mais je sais que je repenserai souvent à mon coiffeur tétouanais.