«Le 21ème siècle sera religieux ou ne sera pas.» On connaît cette réflexion -ou est-ce une prophétie?- attribuée à André Malraux (1901-1976), grand écrivain, amateur d’art, aventurier et membre de la Résistance française pendant l’Occupation allemande.
En somme, et selon celui qui fut pendant plus d’une décennie le ministre de la Culture du général De Gaulle, l’humanité avait le choix à l’orée du siècle: la religion ou la disparition.
Pour être plus précis, il s’agit de «la» Bombe, qui peut effectivement effacer toute trace de vie humaine sur Terre -en ce sens, et en cas d’apocalypse nucléaire, il y aurait bien un 21ème siècle pour les termites, les chats ou les rossignols mais pas pour l’Homme.
Malraux avait-il raison? Oui et non.
Ce n’est que si on remplace «religion» par «spiritualité» -ce n’est pas tout à fait la même chose- qu’on peut accorder quelque crédit à l’alternative qu’il trace.
Pourquoi? Parce qu’au fond, il y a deux façons d’être religieux: l’une, qui est celle des gens un peu bornés, consiste à réciter du bout des lèvres (ça ne vient pas du cœur) des formules apprises dans l’enfance sans trop en comprendre le sens ni la portée, à accomplir des rites détaillés jusqu’à l’absurde et à se conformer à une liste: cela est permis, ceci est prohibé. Moyennant quoi, le fidèle espère recevoir son «salaire». On n’est pas loin de la superstition, en fait. C’est un peu comme ces lycéens qui redécouvrent la prière trois mois avant les épreuves du baccalauréat. On est dans une conception transactionnelle de la religion: «Dieu, je fais la prière, tu m’donnes le bac?» On est loin, très loin, de la spiritualité.
L’autre façon d’être religieux, qui est de l’ordre de la spiritualité, c’est de ressentir au plus profond de soi ce «sentiment océanique» qu’évoquait Romain Rolland dans une lettre à Freud, c’est-à-dire l’impression bouleversante de ne faire qu’un avec l’Univers ou la Nature ou Dieu, c’est-à-dire avec quelque chose d’éternel et d’infiniment plus grand que soi. Romain Rolland était sous l’influence de la tradition indienne mais ce qu’il tente de décrire est exactement l’étape ultime, al-f’na, l’extinction de l’ego dans l’ascension vers Dieu prônée par la mystique musulmane.
Revenons sur Terre. Ces jours-ci, l’affrontement entre l’Iran et Israël prend des formes dangereuses et on peut faire l’hypothèse que si ces deux pays -au lieu d’un seul- disposaient de l’arme nucléaire, alors une Apocalypse d’ampleur planétaire ne serait plus une vue de l’esprit.
Or, qui parle sans trembler du feu nucléaire? Eh bien, qu’ils soient juifs, chrétiens, musulmans ou hindous, ce sont toujours des croyants du type I, secs et sans cœur, partisans de l’orthopraxie sans une once de spiritualité, persuadés qu’un Dieu jaloux, vengeur et vindicatif est de leur côté exclusivement (comme s’Il n’avait pas créé toute l’humanité…), calculateurs, transactionnels, l’air sot et la vue basse. Qu’ils soient juifs, chrétiens, musulmans ou hindous, ces fanatiques se ressemblent -et ils s’assemblent dans une danse macabre qui risque de très mal finir.
En revanche, ceux qui ont de la religion une conception quiétiste, à la fois raisonnable et spirituelle (ce n’est pas contradictoire), ceux qui n’impliquent pas Dieu en de douteux combats, ceux-là ne menacent pas l’humanité et n’insultent pas son avenir.
Il est donc temps de préciser la formule de Malraux.
Le 21ème siècle sera celui de la raison et de la spiritualité -ou il ne sera pas.