On évoque souvent dans ces colonnes des sujets graves, la guerre, le réchauffement climatique, l’effondrement de la biodiversité, l’avenir de l’univers, etc. Mais il n’y a pas que ça dans l’existence. Il y a aussi des anecdotes a priori sans importance, des choses à peine entr’aperçues, des ‘vies minuscules’, comme dirait Pierre Michon; et de chacun de ces non-évènements, il y a pourtant des leçons à tirer.
À propos de vie minuscule, parlons donc d’un hamster à peine plus gros qu’une balle de tennis et qui fut kidnappé samedi dernier à Azemmour.
Or donc, la famille était réunie pour fêter l’anniversaire de ma petite nièce Lina (8 ans) dans le joli riad Bendahou. Ma sœur, ayant fait l’acquisition d’un hamster pour l’offrir à Lina, le laissa dans sa voiture, sous les remparts, pour ne pas gâcher la surprise. Elle prit garde à ce qu’une vitre restât entr’ouverte pour que le cricétidé ne mourût pas avant même que d’avoir réjoui l’enfant.
Mais voilà qu’on toque à la porte du riad. Trois mioches braillent à qui mieux mieux:
– Médème, médème, le gardien du parking, Brahim, a volé ta souris!
Il appert que ledit Brahim a passé le bras par la vitre entr’ouverte et a embarqué la petite cage ainsi qu’une paire d’espadrilles roses qui était posée dessus.
Mon frère aîné va immédiatement au poste de police signaler le larcin. Les archers connaissent tous les gardiens de parking et tiennent donc à rectifier: Brahim est le gardien de nuit. Mon frère s’étonne:
- Il garde la nuit et vole le jour?
C’est dit poétiquement -on dirait du Rimbaud- mais les policiers acquiescent; et ils promettent qu’ils vont débusquer l’individu, fût-il planqué dans une tazota.
Entretemps, ignorant que la force publique est à ses trousses, ledit Brahim toque à son tour à la porte du riad. À ma sœur médusée, qui lui a ouvert, il annonce fièrement:
- Médème, des sales gosses avaient volé ta souris, je les ai attrapés, voici l’animal.
Et il tend la cage d’une main tout en allongeant l’autre, d’un geste qui suggère que son acte héroïque doit être récompensé. Ma sœur, sidérée, murmure:
- Il y avait aussi des espadrilles roses…
- Je les ai mises à l’abri, je file les chercher, répond l’autre, sans bouger d’un millimètre.
Mon frère cadet lui allonge un billet de 50 dirhams, le preux s’en va vers son destin, on referme la porte. Pas pour longtemps. Toc toc! Cette fois-ci, c’est un brigadi:
- Nous venons de mettre la main sur Brahim, en flagrant délit puisqu’il se dirigeait vers ici avec, à la main, les tennis roses dont vous aviez signalé le vol. Les voici.
- Oui, m’sieur l’agent, mais nous avons aussi récupéré le hamster (bien traumatisé, le pauvre), nous retirons notre plainte. Oublions toute l’affaire.
- C’est noté. Mais nous n’en avons pas fini avec lui, nous.
Comme dans un roman d’Agatha Christie, le déjeuner d’anniversaire fut entièrement consacré à l’élucidation de la ténébreuse énigme que nous venions de vivre. Brahim le gardien avait-il tout manigancé dès le début? (Je kidnappe cette bestiole puis je la rends, contre récompense, en faisant croire que je l’ai libérée des griffes d’un sinistre gang de mioches.) Ou bien avait-il changé de plan en route? (Hé, hé, il doit y avoir une fortune dans cette voiture… Oh là? Juste une souris et des pointes roses qui ne sont même pas de ma taille? Hmmmm… Je vais leur rendre le rongeur en réclamant une rançon.) Ou bien s’était-il aperçu que des enfants l’avaient dénoncé et avait-il élaboré un plan machiavélique? (Damned! Je suis foutu… Mettons tout sur le dos de ces sales morpions.)
Quant à moi, assis sur une chaise au fond du riad, silencieux, observant tous ces va-et-vient, je me posais in petto une seule question: comment tous ces gens-là, les mioches, Brahim, les flics, etc., savaient-ils que nous nous trouvions dans le riad Bendahou?
Question subsidiaire: l’intense contrôle social (la famille, les voisins, l’épicier, le m’qaddem, les mouchards...), qui est l’une des caractéristiques de notre beau pays, est-il une bonne ou une mauvaise chose?