Le faucon, oiseau mythique, vénéré par les Pharaons qui le considéraient comme leur ancêtre. La fauconnerie? Vous prenez un oiseau de proie, un rapace. Vous le dressez. Il s’élance dans le ciel, chasse des oiseaux ou des lièvres et revient vers vous!
La fauconnerie daterait de 35 siècles, originaire des hauts plateaux d’Asie Centrale. Il y a 18 siècles, la fauconnerie a été importée d’Asie Centrale en Occident par les Gallo-Romains. Les Arabes l’ont adoptée lors des conquêtes.
Avant l’invention des armes à feu, dans une zone aride, les nomades arabes du Golfe chassaient avec les faucons pour un supplément alimentaire en protéines.
Les sultans marocains ont accordé une grande importance à la fauconnerie. Le sultan mérinide, au 14ème siècle, en possédait des dizaines et en offrait aux souverains d’autres pays. Au 18ème siècle, le sultan Mohammed Ben Abdellah a même fait construire à Fès un hôpital pour les oiseaux de proie.
La fauconnerie a été très appréciée en Europe dès le Moyen-Âge, pratiquée par les rois et les nobles.
Lors de l’occupation portugaise (du 15ème au 17ème siècle), les tribus de la région du Doukkala payaient aux Portugais des impôts sous forme de faucons.
Dans son livre «La Chasse au faucon entre le Machrek et le Maghreb», publié en 1980, le regretté historien Abdelhadi Tazi affirme que le faucon était le cadeau le plus précieux: «Il était destiné à créer un climat de détente ou servait à renforcer les liens diplomatiques entre les pays.»
Assakkare ou tabizayt, la fauconnerie, a été introduite au Maroc au 13ème siècle, sous les Almohades, par les tribus bédouines de Bani Hilal, venus de la péninsule arabique. Ils se sont installés dans le Doukkala où un village porte leur nom.
C’est dans la tribu Lekouassem qu’a été sauvegardé cet art, dans le douar Ouled Amrane et Smaâla. Une sorte de baraka transmise il y a des siècles par leur aïeul Abou Al-Kassem, descendant du Prophète. Ces tribus se considèrent Chorfa, de la lignée du Prophète.
Le sultan Moulay Ismaïl, au 17ème siècle, était tellement passionné par cet art qu’il a créé la fonction de fauconnier. Il attribua un Dahir à la tribu Lakouassem, l’autorisant à acquérir et dresser des faucons. Aujourd’hui, Lakouassem reste la seule tribu à disposer de cette autorisation.
La fauconnerie est strictement encadrée par les autorités. Pour acquérir un faucon, il faut avoir l’autorisation du Haut-Commissariat aux eaux et forêts. Le faucon est une propriété personnelle et ne peut être ni prêté ni vendu. Son décès doit être signalé à cette instance et notifié par procès-verbal.
L’Association des fauconniers Lekouassem d’Ouled Frej veille à ce que ce rapace garde toute sa noblesse, sans devenir l’objet d’un trafic commercial. Tout fauconnier qui ne respecte pas cette protection est écarté par l’association dont le président, Mohammed El Ghazouani, est l’emblème de la fauconnerie, jouissant d’une renommée internationale.
Les fauconniers partagent une éthique et des valeurs sacrées: lien d’amour avec le faucon, équipement adéquat, méthodes d’élevage, d’entraînement et de soin.
Grâce à une race de faucons propres au Maroc, le faucon de Barbarie, les fauconniers marocains ont grandement développé cette pratique et ses techniques de dressage et de chasse, reconnue à l’international.
«Au tout début du siècle dernier, la chasse était « un sport en honneur » chez les Doukkala, qui avaient poussé assez loin l’art de dresser les oiseaux. Certains Marocains avaient même dressé des aigles à la chasse à la gazelle», écrivait l’historien français Edmond Doutté.
Chez les Lekouassem, il y a un rituel pour apprivoiser et dresser l’oiseau: douceur, affection et rigueur.
Étonnant: le faucon doit être femelle. «Nous ne capturons pas le mâle pour la protection de la race, car le mâle est fidèle. Si l’on capture sa femelle, il veille sur ses petits et les protège jusqu’à leur autonomie. La femelle est à l’opposé infidèle. Si l’on capture son mâle, elle abandonne ses petits et va à la recherche d’un autre mâle», explique Mohammed El Ghazouani.
Le faucon en dressage jouit d’une affection particulière. Ce sont les femmes qui s’en occupent, le nettoient, le nourrissent et le cajolent jusqu’à ce qu’il soit prêt à être dressé par les fauconniers, toujours des hommes.
Le dressage exige une grande connaissance, transmise de génération à génération, et des exercices quotidiens. Cela implique un travail minutieux, mais aussi des frais supportés par de petits paysans passionnés, jaloux de la sauvegarde de leur précieux patrimoine.
Vivant eux-mêmes dans une certaine précarité, ils doivent nourrir leurs faucons: au moins un pigeon par jour. Des frais qu’ils supportent seuls, sans aucune subvention ni aide. Ils collectent un peu d’argent lors du festival annuel de la fauconnerie qui attire des Européens et de riches amateurs des pays du Golfe. Cela leur permet de récolter un peu d’argent lors des moussems, insuffisant toutefois pour financer leur frais, leurs efforts et leur engagement.
Dans les pays du Golfe, la fauconnerie est valorisée. Aux Émirats arabes unis, la Coupe du Président est dotée de 7 millions de dollars pour un affrontement entre plus de 2.000 faucons.
À Abu Dhabi se trouve la plus importante clinique pour faucons du monde, où sont soignés chaque année près de 11.000 oiseaux. Des perchoirs sont prévus dans les réceptions des hôtels pour recevoir des faucons, et il existe même un centre commercial dédié à la fauconnerie dans l’émirat.
Le Maroc n’a pas les moyens de ces pays, mais les fauconniers méritent reconnaissance et soutien financier. Un musée de la fauconnerie serait également souhaitable.
La fauconnerie marocaine est la seule des pays africains à être inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco. La relève est certes assurée par de jeunes fauconniers grâce à leurs aînés, mais il est temps de s’inquiéter de la perte de cette illustre tradition.