Nous avons entendu les sismologues et les architectes. Mais pas les psychologues, pas encore. Les entendra-t-on jamais?
Croyez-vous qu’ils n’auraient rien à nous apporter, à nous dire?
Nous parlons pourtant de reconstruction. Il y a reconstruction et reconstruction. Ce n’est pas seulement les maisons et les routes qu’il faut reconstruire, mais des êtres humains qu’il faut retaper de la tête aux pieds.
Il y a cette idée fausse mais bien vissée dans les boîtes crâniennes qui fait de la dimension psychologique quelque chose de superflu, du vent, un problème de riche. On connaît tous cette blague: «Que veux-tu, toi le va-nu-pieds qui n’as rien? Je veux une bague, mon seigneur». Rires garantis. Parce qu’on ne peut faire plus stupide. La morale de cette blague «historique», c’est qu’il faut penser d’abord à manger et que le reste est superflu. Vraiment?
Rebâtir, reconstruire, restaurer, réhabiliter. Tous ces mots, tous ces vœux, tous ces nobles objectifs collent parfaitement à l’âme humaine. L’âme humaine, figurez-vous, est un édifice absolument extraordinaire, un véritable gratte-ciel, peut-être plus haut et plus sophistiqué que Borj Khalifa ou la tour de Kuala Lumpur.
C’est peut-être un luxe, un détail, me diriez-vous. Mais, comme dit la chanson, pour moi ça veut dire beaucoup.
Laissez-moi vous raconter une histoire. Un jour, un ami médecin m’a raconté comment une femme, qui venait de perdre plusieurs membres de sa famille dans un effondrement d’immeuble, était persuadée que le drame était d’abord une punition du ciel. Une punition qui lui était spécialement destinée. C’était elle qu’on punissait, personne d’autre.
La logique scientifique (construction clandestine, non autorisée, anarchique, travaux dans la bâtisse mitoyenne, etc.) ne l’intéressait pas. A ses yeux, ce n’était que du «sabab» (prétexte, un instrument utilisé par Dieu pour exécuter sa volonté punitive), quelque chose de secondaire. Elle était persuadée que le ciel l’avait punie parce qu’elle n’avait peut-être pas «rendu» un jour de ramadan (un jour non «jeûné», jamais rattrapé). Ou commis quelque péché que le ciel ne lui a jamais pardonné…
Rien ni personne ne pouvait réconforter la pauvre femme. Il faut imaginer l’ampleur de la douleur, ou plutôt des douleurs, une torture sans fin. En plus d’avoir perdu ses proches, ses biens, sa vie, elle ruminait et s’en voulait…
Avoir une oreille attentive, qui écoute tout et éponge tout, sans réserve. Juste des mots de réconfort, des mots justes, qui atténuent le poids des responsabilités et arrivent à redonner l’espoir. Cette aide-là, ce soutien-là, n’a pas de prix. Ces mots ne remplacent pas le pain, ni les murs et les vies effondrés. Mais ils apportent cette charpente qui fera tenir l’extraordinaire édifice de l’âme humaine.