Les maladies auto-immunes sont peu connues du grand public et pourtant, elles touchent un très grand nombre d'entre nous. Difficilement détectacles, souvent confondues avec d'autres troubles, engendrant des traitements très coûteux et souvent non remboursés, ces maladies sont pourtant aussi nocives et fatales que le cancer.
Le point avec Khadija Moussayer, Spécialiste en médecine interne et en gériatrie et Présidente de l'association marocaine des maladies auto-immunes et systémiques (AMMAIS).
Qu’est ce qu’une maladie auto-immune ?Lors d’une maladie auto-immune (MAI), le système immunitaire commet des erreurs et détruit certains des tissus de son organisme, des cellules spécialisées de ce système, les globules blancs et les anticorps censées normalement nous protéger des agressions extérieures, se trompent d’ennemi et se mettent à attaquer nos propres organes. Ces anticorps devenus nos ennemis s’appellent alors «auto-anticorps».
La nature des attaques auto-immunes varie énormément selon la maladie. Le système immunitaire peut attaquer par exemple :1/ une substance spécifique, la couche protectrice (myéline) des cellules nerveuses dans le cerveau, la moelle épinière et le nerf optique dans la sclérose en plaques ;2/ des cellules et des tissus de la peau, des articulations, du cœur et des reins dans le lupus érythémateux disséminé.
Quelles sont ces différentes maladies auto-immunes ?Il existe deux catégories de maladies auto-immunes :- celles qui sont limitées à un seul organe et appelées maladies auto-immunes «spécifiques d’organe» (comme la maladie de Basedow qui touche la thyroïde ou le diabète de type I qui touche le pancréas) ;
- celles au cours desquelles plusieurs organes sont touchés successivement ou simultanément, dites alors maladies auto-immunes «systémiques» comme: le lupus érythémateux disséminé (atteintes préférentielles des articulations, de la peau, des reins, du système cardiovasculaire, des globules rouges mais aussi pratiquement de n’importe quel organe); la polyarthrite rhumatoïde (atteinte principalement articulaire, plus rarement pulmonaire et cutanée); le syndrome de Gougerot-Sjögren (atteintes des glandes salivaires et lacrymales occasionnant un syndrome sec et encore des articulations, de la peau et des poumons); la spondylarthrite ankylosante (atteinte des articulations surtout de la colonne vertébrale, atteintes pulmonaire, cardiaque et ophtalmique possibles), la maladie cœliaque (intolérance au gluten contenu dans le blé et d’autres céréales).
Parmi les pathologies auto-immunes, beaucoup sont aussi des maladies rares ou peu fréquentes et peu connues du grand public (le syndrome de Goodpasture, le pemphigus, l'anémie hémolytique auto-immune, le purpura thrombocytopénique auto-immun, la polymyosite et dermatomyosite, la sclérodermie, l'anémie de Biermer, la glomérulonéphrite, uvéite auto-immune…)
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Quelle est la fréquence de ces troubles ?Ces pathologies constituent un grave problème de santé publique du fait de leur poids économique et humain: 3ème cause de morbidité dans le monde, après les maladies cardiovasculaires et les cancers, elles touchent en effet environ 10 % de la population mondiale. Au Maroc, la maladie cœliaque est particulièrement fréquente, elle touche 1% de la population.
Quelles sont les causes des maladies auto-immunes et pourquoi observe-t-on leur progression?Alors que les maladies infectieuses sont en baisse, les maladies auto-immunes sont en continuelle recrudescence.Ainsi le diabète juvénile (ou de type 1), qui concerne plus de 10 % des diabétiques, progresse partout dans le monde à un taux annuel de près de 4 % et frappe de plus en plus les enfants en bas âge entre 0 et 4 ans. La fréquence de la maladie cœliaque s’est vu multiplier par trois cers trois dernières décennies. Ce phénomène, s’expliquerait par plusieurs causes qui s’associent:D’une part une prédisposition génétique et d’autre part, surtout, des facteurs environnementaux (pollution, bactéries virus, modes de vie…). Ainsi, de nombreux produits chimiques industriels (pesticides, nitrates, métaux lourds, particules fines et dioxyde d’azote dégagés par les automobile), sont considérés comme des facteurs de risque dans le développement des maladies auto-immunes, endocriniennes et allergiques.
L’excès d’hygiène est également mis en avant. Ainsi, la «propreté aseptisée» de l’espace autour d’un enfant empêche son système immunitaire d’apprendre à reconnaître les ennemis dont il doit se défendre normalement est devient ainsi plus exposé à commettre des erreurs.
Des facteurs courants comme la pratique de la césarienne ou la modification génétique qu’a connu le blé ont augmenté respectivement la fréquence du diabète de type 1 et de la maladie cœliaque.
Pourquoi ces maladies touchent-elles plus souvent les femmes ?En effet, ce sont les femmes qui portent très majoritairement ce fardeau. Dans près de 75 % des cas, une femme sur six est ou en sera atteinte au cours de sa vie.
Plusieurs explications à ce phénomène, lesquelles impliquent le rôle des hormones sexuelles féminines, les œstrogènes qui, tout en renforçant les défenses immunitaires de la femme, stimuleraient, dans certains cas, le système immunitaire.
Par ailleurs, le rôle du chromosome sexuel féminin X est incontestable: Les femmes possèdent deux chromosomes X, (l’un hérité du père et l’autre de la mère). Normalement, un seul reste actif, une stimulation anormale du système immunitaire peut découler de l’absence d’inactivation du second chromosome X.
En outre, lors de la grossesse, un échange de cellules se produit entre la mère et le fœtus (le microchimérisme fœtal). Ces cellules fœtales persistent jusqu’à 50 ans dans la moelle osseuse de la mère et sont alors considérées comme des éléments étrangers par le système immunitaire qui va détruire les tissus sains en les attaquant.
La femme est se surcroît beaucoup plus surexposée que l’homme qui n’est confronté qu’à un seul type d’échange de cellules entre lui et sa mère alors qu’elle en reçoit de sa propre mère et de ses enfants.
Ainsi, la proportion de femmes atteintes pour un seul homme est dans la maladie de Basedow (Hyperthyroïdie) de 7 femmes/1homme, le lupus de 9f/1h, le Gougerot de 9f/1h, la polyarthrite de 2,5 f/1h, la sclérose en plaques de 2f/1h…
Signalons qu’il existe cependant quelques maladies auto-immunes que les hommes sont tout aussi ou plus susceptibles de développer que les femmes comme la spondylarthrite ankylosante, le diabète de type 1, le granulomatose de Wegener et le psoriasis.
Comment se manifestent ces maladies ?Le diagnostic des maladies auto-immunes notamment systémiques est souvent ardu car les symptômes sont souvent diffus, en effet, un très large éventail de symptômes y sont associés, variant au sein d’une maladie identique et même dans son évolution au fil du temps. Souvent, les symptômes sont peu perceptibles, apparaissant et disparaissant (évolution par poussées et rémissions) mettant en doute l’authenticité de la maladie.
Certaines manifestations sont spécifiques comme une sensibilité au soleil en faveur du lupus, un durcissement de la peau et un changement de coloration des mains évoquant une sclérodermie ou une diminution des sécrétions lacrymales et salivaires en faveur d’une maladie de Gougerot Sjögren.
Certaines maladies auto-immunes peuvent emprunter leurs symptômes à des maladies courantes ou anodines, telle la maladie cœliaque ou intolérance au gluten qui peut se manifester par des troubles digestifs, une anémie, des troubles de règles ou des aphtes.
D’autres maladies sont encore plus difficiles à diagnostiquer en particulier celles qui engendrent une inflammation des parois des vaisseaux sanguins (les vascularites), une disparition du poul peut s’observer avec une impossibilité de prendre la tension artérielle.
Dans le syndrome des anti phospholipides où le système immunitaire attaque les lipides des vaisseaux, on rencontre des fausses couches à répétition, des accidents vasculaires cérébraux, des bouchons des veines et des artères donnant des manifestations aussi diverses que leur lieu de constitution.
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Quelles sont les thérapeutiques à mettre en œuvre ?Ces affections sont chroniques et la plupart ne sont pas curables. Elles ne sont pas mortelles rapidement en général, mais elles contribuent au raccourcissement de l’espérance de vie (8 à 10 ans en moyenne) surtout quand elles ne sont pas bien traitées.
Certaines pathologies relèvent d’un seul régime alimentaire (exclusion du gluten dans la maladie cœliaque), d’autres d’une surveillance (certaines thyroïdites) ou d’un traitement substitutif (hormones thyroïdiennes pour l’hypothyroïdie, insuline en cas de diabète) ou freinateur (antithyroïdiens dans la maladie de Basedow). Pour les autres pathologies, les traitements sont destinés à ralentir ou à supprimer la réponse immunitaire pathologique et s’appuient sur : les corticoïdes, les immunosuppresseurs et enfin les biothérapies.
Ils ont permis des progrès immenses quand on sait, par exemple, que le taux de survie à 5 ans pour le lupus en France était inférieur à 50 % en 1955 et supérieur à 90 % en 2005.
Par quel type de médecin la prise en charge doit elle être faite?Outre le médecin généraliste, la prise en charge de ces maladies est assurée par les différents spécialistes en fonction des organes touchés et en particulier par un spécialiste en médecine interne, encore appelé «interniste». Du fait de son approche holistique, les maladies auto-immunes qui touchent plusieurs organes sont au cœur de ses compétences.
Quel est le coût des soins ?Il est très variable suivant les types d’atteintes, l’intensité des attaques et leur durée. Si les soins par la cortisone sont bon marché, certaines nouvelles thérapeutiques comme les biothérapies sont onéreuses (dépassant les 100 000 dirhams par an) et hors de la portée de la plupart des marocains. Et pourtant ces derniers produits seraient nécessaires dans les cas les plus graves car ils permettent maintenant des améliorations significatives.
Les soins et traitements sont-ils remboursés ?Certaines de ces pathologies (polyarthrite rhumatoïde, lupus, sclérodermie…) sont considérées comme des affections de longue durée (ALD) et prises en charge à ce titre par la CNSS. Beaucoup d’autres ne bénéficient pas encore de ce régime.
Pourriez-vous indiquer une priorité dans le combat contre ces atteintes ?Alors que ce phénomène «féminin» est connu de la communauté médicale, il reste largement ignoré du grand public marocain comme français d’ailleurs, faute d’être médiatisé.
Ce problème de santé féminin par excellence mériterait de faire l’objet de larges campagnes de sensibilisation, autour du concept global d’auto-immunité, en direction des femmes (comme c’est le cas pour le cancer) et à l’exemple d’autres pays comme les Etats-Unis. La journée de la femme, le 8 mars, ou la journée internationale de la santé, le 7 avril, seraient propices pour ces actions!