Les images venues de Safi ont bouleversé le pays. En quelques instants, des pluies d’une violence extrême ont transformé des rues entières en torrents de boue, envahi des habitations, détruit des commerces, emporté des biens et laissé derrière elles des familles choquées, parfois sans abri, privées de leur unique source de revenus.
Face à un tel drame, la douleur est immense. La colère aussi. Beaucoup de citoyens désignent les autorités comme responsables. Mais il est essentiel de le dire clairement: il ne s’agit pas ici de désigner des coupables, ni de disculper qui que ce soit, mais de comprendre ce qui s’est produit et d’être juste dans notre jugement.
Le Maroc traverse un moment climatique paradoxal. Après sept années de sécheresse sévère, la pluie était attendue, espérée, presque célébrée. Elle annonçait le retour de la vie, le remplissage des barrages, la recharge des nappes phréatiques, la relance de l’agriculture, et même la neige, une bénédiction pour de nombreuses régions. Cette joie est aujourd’hui mêlée à une profonde tristesse pour les victimes, pour leurs familles endeuillées, pour celles et ceux qui ont tout perdu. Parfois toute une vie d’efforts.
Ces pluies dévastatrices ne relèvent pas d’un simple épisode hivernal ordinaire. Il s’agit de précipitations très intenses, concentrées sur un laps de temps extrêmement court. Les sols, durcis par des années de sécheresse, n’absorbent plus l’eau: ils la rejettent. L’urbanisation, le béton, la rareté des zones naturelles d’absorption, ainsi que les pentes autour de la ville, favorisent un ruissellement rapide et incontrôlé. L’eau, chargée de terre, de déchets et de débris, se transforme alors en torrent de boue, imprévisible.
Ce type de phénomène, appelé inondation éclair, laisse très peu de temps pour réagir. Il peut se former en quelques minutes seulement, piégeant habitants et automobilistes avant même que l’alerte ne circule pleinement.
Même dans les pays les plus développés, ces phénomènes dépassent parfois les capacités de prévention et de réaction. En Allemagne, en 2021, des inondations éclair ont causé plus de 180 morts, malgré des systèmes d’alerte avancés. En France, en 2015, dans le Sud-Est et à Nice, des pluies torrentielles ont surpris populations et autorités, faisant 20 morts en quelques heures. Aux États-Unis, en 2021, des villes comme New York ont vu leurs métros et quartiers submergés en un temps record, causant plus de 50 décès.
Ces exemples rappellent une réalité dérangeante: la vitesse, la brutalité et la concentration des événements climatiques extrêmes rendent parfois la réaction extrêmement difficile, voire impossible, même avec des infrastructures modernes et des moyens importants.
Oui, l’État et les collectivités ont une responsabilité: aménagement urbain, entretien des réseaux d’évacuation, planification, systèmes d’alerte, information de la population. Ces questions doivent être posées, sérieusement, sans tabou. Mais réduire un tel drame à une faute unique ou à une intention négligente serait à la fois injuste et stérile. Le défi est plus large. Il concerne l’adaptation des villes marocaines à un changement climatique réel, désormais plus violent, plus imprévisible, plus extrême.
Dans l’urgence, les autorités ont mobilisé les services de secours, la protection civile, les forces de l’ordre et les autorités locales. Des opérations de sauvetage, de relogement et d’évaluation des dégâts ont été lancées. Parallèlement, une formidable solidarité populaire s’est manifestée: habitants, associations, bénévoles, commerçants ont apporté nourriture, vêtements, hébergement, aide morale et matérielle aux sinistrés. Dans l’épreuve, la société marocaine a montré, une fois encore, sa capacité de compassion et d’entraide.
Derrière les chiffres annoncés, il y a des visages, des histoires, des traumatismes. Des enfants qui ont vu l’eau envahir leur maison. Des familles qui ont tout perdu en une nuit. Des commerçants ruinés. Leur souffrance appelle d’abord à l’écoute, à l’accompagnement et à l’aide concrète, bien avant les polémiques.
Comprendre ce qui s’est passé à Safi ne signifie ni excuser, ni accuser aveuglément. Cela signifie préparer l’avenir: repenser l’urbanisme, renforcer les systèmes d’alerte, intégrer le risque climatique dans toutes les politiques publiques, développer une véritable culture de prévention, et mieux informer les citoyens.
Nous pouvons être heureux du retour de la pluie, tout en étant profondément attristés par ses conséquences tragiques. Ces deux émotions peuvent coexister.
Malgré la douleur et les pertes, ces précipitations marquent aussi un tournant porteur d’espoir. Après de longues années de sécheresse, la pluie et le retour de la neige annoncent la renaissance des terres, le soulagement des nappes et la promesse d’un avenir agricole plus serein. À nous d’accueillir cette bénédiction avec gratitude, tout en renforçant notre préparation collective pour que l’eau, source de vie, ne devienne plus jamais source de drame.





