Du haut de ses 52 ans, Yahya Tayalati, natif de Jerada, a fait une entrée triomphale à l’Académie mondiale des sciences (The World Academy of Sciences – TWAS), en compagnie de Youssef Ouknine, professeur de mathématiques à l’Université Cadi Ayyad de Marrakech. Dans cette interview avec Le360, le titulaire par ailleurs du prix régional arabe TWAS en 2022 dans le domaine de la diplomatie scientifique, fait part de son sentiment quant à cette brillante désignation et de son ambition de porter au zénith les couleurs du Maroc dans le domaine des sciences tous azimuts.
Le360: il y a quelques mois, on vous a élu à l’Académie mondiale des sciences (TWAS) aux côtés du prix Nobel 2021 de physique, l’italien Giorgio Parisi. Quelle a été votre réaction à cette élection? Et que représente-t-elle tant sur le plan personnel que professionnel?
Yahya Tayalati: ma nomination à TWAS, aux côtés d’éminents scientifiques, a été naturellement empreinte d’honneur et de gratitude. C’est avant tout un grand honneur pour le Maroc, qui, sous la direction de Sa Majesté le roi Mohammed VI, que Dieu le glorifie, est devenu un acteur majeur aux côtés des grandes nations dans divers domaines. Cette nomination représente une reconnaissance remarquable de l’enseignement public et couronne des années de travail et de contributions.
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Sur le plan personnel, cette élection est une source de fierté et de motivation pour continuer ce chemin visant l’excellence scientifique et académique tout en inspirant beaucoup de jeunes chercheurs dans notre pays. Enfin, je considère cette élection comme un privilège et une responsabilité permettant de participer activement aux efforts de cette instance internationale pour promouvoir la science, la recherche et l’innovation dans les pays en développement. C’est également une occasion de représenter mon pays sur la scène internationale et de contribuer à relever les défis mondiaux grâce à l’innovation et à la collaboration interdisciplinaire.
«J’ai également joué un rôle crucial dans l’implication du Maroc dans le projet de mise à niveau du détecteur ATLAS, avec le High Granularity Timing Detector (HGTD). Un projet ambitieux qui vise à perfectionner la détection des particules élémentaires en développant de nouveaux capteurs ultra rapides et des circuits électroniques de pointe.»
— Yahya Tayalati, membre de l'Académie mondiale des sciences
Yahya Tayalati, professeur marocain élu à l'Académie mondiale des sciences.
Votre élection dans la catégorie «Physique, astronomie et sciences de l’espace» a-t-elle été une reconnaissance à vos importantes contributions à la base de données de l’Académie baptisée «ATLAS»? Expliquez-nous en quoi consistait votre contribution pendant plus de deux décennies à cette plateforme.
La collaboration internationale ATLAS, dont le Maroc est membre actif à travers plusieurs laboratoires, a réussi à construire le plus grand détecteur de particules élémentaires de l’histoire de l’humanité, explorant les mystères profonds de la matière environnante, suscitant des questions intrigantes et fascinantes telles que la nature de la matière noire, l’existence de dimensions supplémentaires de l’espace, et la recherche des particules élémentaires qui composent notre Univers. Mon engagement au sein de cette collaboration a touché divers domaines, allant de la conception et la construction de parties essentielles du détecteur jusqu’au développement de solutions logicielles sophistiquées et à l’analyse approfondie des données physiques collectées.
J’ai également joué un rôle crucial dans l’implication du Maroc dans le projet de mise à niveau du détecteur ATLAS, avec le High Granularity Timing Detector (HGTD). Un projet ambitieux qui vise à perfectionner la détection des particules élémentaires en développant de nouveaux capteurs ultras rapides et des circuits électroniques de pointe. Notre plaidoyer actif a permis d’ouvrir de nouvelles voies de collaboration offrant ainsi des opportunités intéressantes aux entreprises nationales dans le domaine de la recherche en physique nucléaire et de physique des particules expérimentale.
En plus de mon engagement au sein de la collaboration ATLAS, j’ai occupé une place centrale dans d’autres projets de grande envergure. Parmi ceux-ci, ma contribution au projet ANTARES, un télescope à neutrinos déployé dans la mer Méditerranée de 2008 à 2022, a été particulièrement significative. ANTARES avait pour objectif de détecter les neutrinos provenant de sources astrophysiques telles que les éruptions de supernovas, les émissions de sursauts gamma et les interactions dans les noyaux actifs de galaxies, afin de mieux comprendre les phénomènes astrophysiques extrêmes. En tant que coordinateur du groupe de physique exotique au sein de ce projet, j’ai supervisé des travaux qui ont conduit à l’établissement de limites très compétitives sur le flux de particules exotiques telles que les monopôles magnétiques et les nucléarites. Les monopôles magnétiques sont des particules hypothétiques qui possèdent une charge magnétique monopolaire, contrairement aux aimants ordinaires qui ont deux pôles (nord et sud). Les nucléarites sont également des particules hypothétiques étranges qui pourraient se former lors de processus cosmiques violents.
J’ai également lancé une collaboration avec le projet international KM3NeT, une infrastructure de recherche de grande envergure construite sur les acquis du projet ANTARES. Cette collaboration a permis la mise en place de projets pilotes au niveau national, notamment l’intégration au Maroc de deux lignes spécialisées des modules optiques et des routeurs électro-optiques pour le télescope à neutrinos KM3NeT.
Cette quête se poursuit avec l’adhésion du Maroc dernièrement au projet ePIC, du futur collisionneur EIC (Electron-Ion Collider) du laboratoire Fermilab aux États-Unis. Cette adhésion vise à étudier les interactions entre les électrons et les ions afin de mieux comprendre la structure fondamentale de la matière nucléaire. Le Maroc s’engage ainsi dans la recherche de pointe en physique des hautes énergies, contribuant à enrichir les connaissances scientifiques et à renforcer les collaborations internationales dans des domaines d’avant-garde. Tous ces efforts ont, à la fois, favorisé la formation de jeunes chercheurs de haut niveau et permis le transfert de technologies de pointe vers le Royaume.
TWAS met en avant le fait que vous avez notamment pris part à «la construction et l’exploitation du pré-échantillonneur à argon liquide et l’observation de la diffusion lumière par lumière». Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?
Le pré-échantillonneur constitue un élément fondamental du détecteur ATLAS, agissant comme une couche active d’argon liquide placée en amont du calorimètre électromagnétique. Son rôle essentiel est de compenser l’énergie dissipée dans la matière inerte avant d’atteindre le calorimètre électromagnétique. J’ai été directement impliqué dans toutes les étapes de la phase de construction et des tests de validation et aussi à la mise en service et à l’exploitation de ce système. Cette contribution a permis de développer une technologie avancée qui a considérablement amélioré la capacité de détection du détecteur ATLAS, contribuant ainsi de manière significative aux progrès réalisés dans le domaine de la physique des particules. Le pré-échantillonneur s’est révélé extrêmement efficace et est désormais largement utilisé dans de nombreuses mesures poussées réalisées au sein de la collaboration ATLAS.
En ce qui concerne l’observation de la diffusion lumière par lumière, nous sommes confrontés à un processus fascinant. Celui-ci est complètement prohibé dans le cadre de l’électrodynamique classique, mais émerge de façon tout à fait inattendue dans le domaine de l’électrodynamique quantique. Il s’agit d’un phénomène d’une rareté exceptionnelle, ce qui le rend extrêmement difficile à mesurer, voire inaccessible malgré de nombreuses tentatives, avec divers dispositifs, qui ont toutes échoué. Cependant, lors des collisions ultrapériphériques d’ions lourds au Grand collisionneur du CERN, la probabilité de ce phénomène est amplifiée ce qui a permis d’observer pour la première fois ce qui était jusque-là insaisissable. Cette réussite pourrait ouvrir de nouvelles perspectives de recherche.
«Nous nous engageons à mettre en place des solutions innovantes pour la détection précoce de la tuberculose, permettant ainsi une intervention plus rapide et plus efficace.»
— Yahya Tayalati, membre de l'Académie mondiale des sciences
Dites-nous un peu plus sur votre projet collectif «AI4TB», axé sur l’intelligence artificielle pour la lutte contre la tuberculose ?
Le projet AI4TB réunit une équipe multidisciplinaire composée d’experts en provenance du Royaume, du Burkina Faso et de la République démocratique du Congo, en étroite collaboration avec des chercheurs éminents du Canada, d’Afrique du Sud et du Qatar. Cette initiative ambitieuse s’appuie sur les avancées les plus récentes en matière d’intelligence artificielle pour s’attaquer à l’un des plus pressants défis sanitaires au monde: la tuberculose.
Dans le cadre de ce projet, nous nous engageons à mettre en place des solutions innovantes pour la détection précoce de la maladie, permettant ainsi une intervention plus rapide et plus efficace. De plus, grâce à des techniques de modélisation avancées, nous visons à prédire avec précision les souches résistantes aux médicaments, ce qui permettra d’adapter les traitements de manière optimale.
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Un aspect crucial de ce projet est également le monitoring continu de l’épidémie à l’échelle du continent africain. En utilisant des outils d’analyse de données en temps réel et des techniques de surveillance épidémiologique avancées, nous visons à fournir des informations précieuses pour orienter les politiques de santé publique et les interventions de terrain.
Le financement substantiel octroyé par le Centre International pour le développement de la recherche canadien témoigne de la pertinence et de l’importance de ce projet. Nous sommes déterminés à mettre en œuvre des solutions innovantes pour lutter contre la tuberculose et à sauver des vies en exploitant pleinement le potentiel de l’intelligence artificielle.