Un proche m’a appelé pour me dire qu’il est tombé en marchant. Dans la rue. Un cordon reliant deux blocs de béton l’a fait trébucher. Résultat: une double fracture, une entorse et une luxation.
Des cordons comme ça, on en voit beaucoup à Casablanca, une quantité incroyable. À quoi servent-ils exactement? Ils sont souvent posés n’importe comment, très proches du sol. Comme des pièges à rats, prêts à vous prendre le pied à la moindre inattention.
Après, si vous trébuchez, c’est la loterie du destin, la grande loterie: vous pouvez vous en sortir sans rien ou avec une jambe, un coude ou des côtes cassées.
Quand cela arrive, on vous dira: dommage, c’est le mektoub qui a voulu ça. La faute à pas de chance et à ce hasard qui a fait que vous avez été au mauvais endroit, au mauvais moment.
Et quand ce n’est pas la faute au destin, c’est votre faute à vous. Le coupable, c’est vous. Vous marchez trop vite, votre esprit cogite ou vagabonde, ou mieux encore: vous n’avez qu’à rouler en voiture au lieu de «piétonner». Ou alors, changez de lunettes, d’itinéraire.
On finira donc par vous sermonner: mais il faut être inconscient pour «piétonner comme ça» à Casablanca. Qu’est-ce qui vous a pris? Vous vous croyez où?
Tout cela parce que vous avez été «surpris» par un cordon en métal ou en tissu que quelqu’un a mis sur votre chemin.
D’une manière générale, quand on vous dit «Je suis tombé en marchant», il y a des chances que vous répondiez: «Quoi!». Cette exclamation masque un rire que vous vous interdisez, sans doute par politesse. Votre esprit marque un temps d’arrêt. Il est travaillé par cette idée: mais comment est-ce qu’on peut encore tomber dans la rue?
À Casablanca, où les chantiers sont partout, où la moitié des rues sont éventrées, où les voies aménagées pour les piétons n’existent pratiquement pas, beaucoup de victimes sont tombées «comme ça», la faute à pas de chance : un cordon invisible, une bouche d’égout à ciel ouvert, une trappe ouverte ou une dalle mal posée, un nid de poule, des trottoirs impraticables, etc.
Les services de traumatologie peuvent se frotter les mains. Mais ils sont les seuls pour le moment. Les dossiers des victimes devraient aussi atterrir devant les tribunaux. Il faut placer la ville et les sociétés de BTP devant leurs responsabilités.
Un avocat m’a d’ailleurs donné le conseil suivant: «Demandez à votre ami d’établir un procès-verbal et de porter plainte contre la ville et/ou la société en charge des travaux».
Y a-t-il des chances de se faire entendre, de «gagner»? Réponse: «Oui, vous pouvez gagner le procès. Mais vous perdrez du temps et de l’argent: les frais liés à la procédure seront probablement supérieurs au montant des indemnités!».
Gagner un procès, tout en perdant son temps et son argent? C’est fou, et ce n’est pas donné à tout le monde. Mais c’est un acte citoyen, utile pour la communauté. Courage à ceux qui franchiront le pas!