L’Instance chargée de la révision du Code de la famille continue de consulter, à longueur de semaine, depuis le 1er novembre une palette large d’acteurs politiques et de la société civile.
De l’aveu du coordinateur de l’instance, Mohamed Abdennabaoui, qui exerce les charges importantes de premier président de la Cour de cassation et président délégué du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, ces sessions ont concerné «1.500 associations, que ce soit de manière individuelle ou au sein de coordinations, et collectifs impliqués dans les domaines de la famille, de la femme et de l’enfance, de 21 partis politiques, de 6 institutions officielles et de 10 associations œuvrant dans le domaine des droits de l’Homme».
À cela, il faut ajouter les principaux syndicats du travail, des organisations de la société civile, des groupes de travail, des personnalités diverses, etc. entendus entre-temps par l’instance.
Un email (instance@moudawana.ma) est également mis à la disposition des citoyennes et citoyens qui souhaitent faire des propositions de révision du Code de la famille.
Cette méthode de récolte exhaustive d’information est excellente, mais elle produit un spectre très large de propositions. Elle ne peut aboutir qu’à certaines conditions. La première est de ne point s’arrêter à la récolte brute des doléances. Il ne s’agit pas de fournir une simple liste des propositions. Trop nombreuses, reflétant des positions souvent antinomiques, voire antithétiques, ces enchères des uns et des autres ne serviront pas les résultats.
Comment, en outre, départager les différentes propositions faites pour un même article de loi? Celles-ci ne peuvent être tributaires des membres de l’instance qui arbitreraient pour les sélectionner. Je ne parle pas d’éthique, mais de méthode scientifique, rigoureuse à mettre en place pour que l’écoute effectuée soit cohérente et entière.
Le travail de récolte des propositions pourrait bien n’être qu’une première étape dans la manière de faire de l’instance. La seconde étape sera, en toute logique, une analyse des données. Celle-ci pourrait être réalisée conjointement par le Haut-Commissariat au plan et un ou deux bureaux d’études d’opinions externes. À travers des algorithmes pointus utilisés pour modéliser les résultats, il sera possible d’évaluer sous toutes les coutures, et avec une marge d’erreur insignifiante, des classements différentiels des valeurs quantitatives et qualitatives des propositions.
À ces difficultés s’ajoute la plus grande contrainte de l’instance, à savoir les révisions techniques de l’arsenal juridique du Code de la famille. Sur cette question jurisprudentielle, la plupart des partis politiques et des acteurs associatifs ou autres n’est pas qualifiée pour limer et élaguer les centaines d’articles, dont certains sont contradictoires et s’opposent carrément. Ce sont les juges qui se révèlent dépositaires des propositions techniques à apporter au Code. Celles et ceux qui, dans les enceintes de la Justice, se sont confrontés pendant des années au labyrinthe des lois de la famille.
Ce travail souterrain avec les juges doit également adopter une démarche scientifique dans son déploiement. La parole des femmes et des hommes magistrats est précieuse pour atteindre les objectifs de la réforme. Il s’agit pour l’instance d’engager une récolte d’informations exhaustive et globale auprès d’eux. L’instance ne doit pas attendre des juges qu’ils envoient d’eux-mêmes des propositions, mais elle doit aller au-devant et leur fournir un cadre de travail avec des questionnaires ciblés et l’organisation de focus groups.
Enfin, il y a les grands oubliés de cette consultation nationale dont le rôle est crucial en matière d’application du Code de la famille: les adouls de terrain. Ils forment une partie prenante indéniable. Ils sont en contact direct avec la législation des citoyens, les juges n’intervenant qu’en cas de plainte et de conflits dans un couple. Ce sont les adouls qui tranchent pour les héritages et témoignent des actes de mariage et autres documents relevant de la famille et des relations économiques de ses membres.
Ces adouls, on le sait, sont parfois mal vus par les majors du tribunal. Ces derniers reprochent à une bonne partie d’entre eux de ne pas appliquer convenablement les articles du Code de la famille, voire parfois de les méconnaitre. La plupart des adouls sont animés par une insuffisance dans les subtilités et nuances des lois, qui se renvoient souvent les unes aux autres, dans une toile sémantique gigantesque. Pourtant, s’il faut les former davantage, il faut le dire et le faire. Une bonne chose serait aussi de réécrire dans un arabe plus moderne les lois, de manière à les rendre plus intelligibles au commun des gens.
Pour réussir, la réforme doit être suivie par des mesures de communication professionnelle (livrets, vidéos académiques et site internet) qui simplifient pour les adouls, les juges, les associations, la société civile et jusqu’aux citoyens la compréhension de la majorité des cas pratiques du Code de la famille.
À chaque question, dit l’adage, il y a une réponse. Il suffit de la chercher avec ordre et méthode.