Entre le Japon et le Maroc, il y a un monde. Plus de 11.000 kilomètres à vol d’oiseau. Plus de 21 heures pour relier par les airs le pays du soleil levant au pays du soleil couchant. Pourtant, par-delà la course du soleil, certaines choses nous réunissent, à commencer par l’ancienneté de notre histoire qui fait de ces deux pays, les deux plus anciennes monarchies encore existantes au monde. Après le Japon, plus ancienne monarchie du monde fondée en 660 av. J.-C., vient le Maroc, établi en 789. Le Top 5 est complété par le Sultanat d’Oman (751), la Norvège (872) et le Danemark (958).
Mais qu’est-ce qui nous relie au Japon mis à part notre histoire monarchique? Pas grand-chose, si ce n’est cet attachement qu’on témoigne encore au respect des personnes âgées et un fort sens de l’hospitalité. Pourtant, on aurait tout à gagner à s’inspirer de ce pays, et plus que jamais à l’heure où l’incivisme s’invite dans le débat public comme un sujet de préoccupation majeure. Le phénomène n’a rien de nouveau, mais il prend une ampleur préoccupante à cinq ans de la Coupe du monde. Comme à notre habitude, nous réagissons dans la précipitation, cherchant à colmater les brèches et à donner le change, au lieu de traiter le problème en profondeur. Une manière de masquer nos manquements, comme on cache la poussière sous le tapis. Un peu comme quand Casablanca retrouve un semblant de propreté lorsqu’une visite du Roi est annoncée.
Passons… il faut bien commencer par quelque chose n’est-ce pas? Mais la tenue de la Coupe du monde peut-elle vraiment représenter ce déclic tant attendu qui posera, d’un coup de baguette magique, les bases d’un civisme irréprochable dans nos têtes? La chose est incertaine, convenons-en. Pour trouver des solutions à ce mal qui ronge notre société et se caractérise par un non-respect total des espaces publics et de l’environnement, chacun y va de sa solution. On pense notamment à celle de pénaliser les comportements irrespectueux dans l’espace public, comme cela se fait dans les pays occidentaux, et appliquer des amendes à ceux qui jettent des ordures par terre, font leurs besoins dans la rue, se livrent au tapage nocturne (et diurne aussi), et la liste est longue…
Mais comment appliquer cela quand même le Code de la route a du mal à se faire respecter? Quand le simple fait de faire la queue est insurmontable? Certains appellent les imams à adapter leurs prêches en ce sens, afin de sensibiliser les fidèles à l’importance du civisme, rappelant que l’islam prône le respect d’autrui et la propreté. Mais l’argument, s’il remporte l’adhésion d’un grand nombre, fait grincer des dents de ceux qui estiment que les imams se livrent déjà à ce type de prêches et que cette mesure ne concerne que ceux qui fréquentent les mosquées. Quid des autres, les croyants non pratiquants ou les pratiquants qui prient chez eux? In fine, estiment les détracteurs de cette approche, relier la religion au civisme s’avère être une mesure incomplète et peu adaptée car c’est aux parents et à l’école d’assurer ce rôle.
C’est là qu’intervient le modèle japonais qu’on gagnerait à prendre pour exemple. Dans ce pays où le shintoïsme, la religion traditionnelle, se mêle au bouddhisme, le respect de la nature, l’éveil spirituel et le zen imprègnent la sensibilité japonaise. Certains jours fériés témoignent d’ailleurs de cet attachement à la nature, à travers la fête des fleurs, celle de la nature, celle des étoiles, ou encore le jour de la montagne ou celui de la mer. Le sacro-saint civisme des Japonais, érigé comme un modèle dans le monde entier, découlerait-il de cette approche religieuse et spirituelle de l’environnement?
«Au Japon, le modèle scolaire s’échine à former non seulement de (très) bons élèves, mais aussi et surtout de bons citoyens.»
— Zineb Ibnouzahir
Peut-être en partie, mais certainement pas complètement, car au Japon, ce n’est pas dans les temples que se fait l’éducation au civisme, mais à l’école. On arguera que chez nous aussi, on dispense des cours d’éducation civique aux enfants à l’école. Mais en vérité, tout sépare les deux façons de faire, car au Japon, le modèle scolaire s’échine à former non seulement de (très) bons élèves, mais aussi et surtout de bons citoyens. Et pour ce faire, on érige en valeur sacrée l’esprit de groupe, au détriment, diront les détracteurs de cette vision de la société, de l’individualité. Un choix s’impose.
Comment cela se concrétise-t-il? Au-delà de la transmission du savoir et de la connaissance, l’école joue un double rôle en mettant également en place une panoplie d’activités (obligatoires) qui visent à apprendre aux élèves la cohésion sociale, le civisme, le vivre-ensemble, la sociabilisation.
Exemple: Il incombe aux élèves, dès les classes primaires et même avant, de nettoyer leurs classes, leurs pupitres, balayer la cour de l’école, récurer les toilettes de l’établissement, servir les repas à la cantine… autant de «corvées» qui ne sont pas perçues comme telles, mais comme une façon d’exprimer leur engagement envers leur prochain, d’assurer l’harmonie au sein de l’école et de cultiver l’humilité et le respect. Au Japon, la responsabilisation des enfants dès leur plus jeune âge est indispensable à leur éducation. Ainsi, à travers le nettoyage de leur école, leur bureau, leur gymnase, etc., ils apprennent à être responsables de leurs propres biens.
Bien entendu, pour assurer l’équilibre de cet édifice moral, l’équité est une valeur fondamentale, que l’on applique notamment à l’école avec le port du même uniforme pour tous et l’application du règlement intérieur par tous, sans passe-droits dus à une prétendue supériorité de classe sociale.
La chose ne s’arrête pas là car pour renforcer davantage la sociabilisation et le vivre-ensemble, les activités extrascolaires se déroulent presque exclusivement à l’école et sont obligatoires. Ainsi, le soir venu, les week-ends et pendant les vacances, les élèves inscrits dans ces clubs s’adonnent au sport, à la musique et à d’autres activités. L’idée n’étant pas seulement de passer le temps comme dans une garderie, mais d’apprendre aux enfants, dès leur plus jeune âge, à vivre ensemble au sein d’une communauté qui œuvre dans le même sens.
Arrivés à l’âge adulte, le civisme fait partie intégrante de la vie des Japonais. On se souvient de la Coupe du Monde en 2018, lorsque les supporters japonais ont donné une leçon de civisme au monde entier, en nettoyant le stade et les gradins après la fin du match, et que les joueurs de l’équipe nationale ont fait de même dans leurs vestiaires, en n’omettant pas de laisser derrière eux un mot de remerciement écrit en russe pour l’accueil qui leur a été réservé. Une magnifique initiative reprise par les supporters marocains lors de la Coupe du monde au Qatar en 2022… et aussitôt délaissée une fois revenus au Maroc. C’est toute la différence entre faire et simuler, être et paraître.
S’il est un objectif à court terme à se fixer, c’est bien de mettre l’école marocaine à l’heure japonaise, en n’omettant pas les principes de base sans lesquels aucun modèle de civisme n’est possible, l’équité et la justice sociale. C’est la seule façon d’obtenir l’engagement et la responsabilité individuelle envers la société, le respect des lois et des institutions, la participation active à la vie publique et enfin un comportement irréprochable de la part d’un citoyen éclairé, et non d’une personne qui réagit comme un enfant mal élevé et écervelé qui s’évertue à ne pas obéir aux ordres qu’on lui donne.







