"Quand on a créé notre association de microcrédit, on a inscrit la parité hommes-femmes dans nos statuts: quelle erreur! Ce sont les femmes qui travaillent le plus et ce sont elles qui remboursent le mieux..."
La Marocaine Nadia Salah Dilami, vice-présidente de l'association Al-Amana, leader régional de la micro-finance avec 4 milliards d'euros prêtés sur 20 ans, ne mâche pas ses mots quand il s'agit du rôle moteur des femmes dans la transformation des sociétés méditerranéennes.
Qu'elles soient venues du Maroc, d'Algérie ou de Tunisie pour participer à un récent séminaire organisé à Paris autour des "femmes qui font bouger le Maghreb", ces chefs d'entreprises, directrices d'association, créatrices, universitaires ou fonctionnaires partagent le même constat.
"Les femmes, la jeunesse, la société civile, constituent des forces majeures dans le contexte actuel de mutations", résume l'avocate Nadia Aït Zaï qui dirige à Alger le Centre d'information sur les droits de la femme et de l'enfant.
Nouvelle Constitution en Tunisie et au Maroc, élections en Algérie... Au cours de la dernière décennie, le paysage a été modifié: "nous sommes en recherche d'identité (...) aujourd'hui, on peut avoir l'impression d'être face à une société traditionnelle, la période est difficile mais il y a une effervescence, un vrai débat pour savoir s'il faut aller vers la modernité ou vers les ténèbres", souligne la Tunisienne Olfa Terras-Rambourg qui dirige une fondation culturelle privée.
"Le retour aux valeurs traditionnelles montre que si on a pu combattre le terrorisme, on n'a pas assez combattu l'idéologie islamiste", relève de son côté l'avocate Nadia Aït Zaï.
"Il y a un renouveau et même s'il y a des esprits contraires, ils finiront par céder", veut croire l'éditrice algérienne Dalila Nedjem.
"Ils", ce sont les conservateurs, les islamistes, les défenseurs de la tradition, ceux qui citent le Coran pour "dire que la femme est inférieure à l'homme", décrypte l'intellectuelle tunisienne Faouzia Charfi qui milite contre l'islam politique.
Plutôt que de se focaliser sur les obstacles qui jalonnent la route vers l'égalité et l'émancipation, le séminaire co-organisé par le HuffPost Maghreb et l'Institut du Monde Arabe était un partage d'expériences, résolument optimiste. Car "pour changer le monde, il faut commencer par changer son quartier", comme elles les quelque vingt intervenantes, chacune à sa façon.
Croyances et peurs
Le terrain d'action est multiple: en Algérie, c'est par exemple combattre ceux qui tentent de réinscrire les tests de virginité dans les contrats de mariage. Au Maroc, c'est lever les tabous sur la contraception ou faire appliquer le droit successoral. En Tunisie, ce sera intervenir pour l'accès à l'école et aux formations, surtout dans les régions éloignées.
Partout, il faut briser le plafond de verre: "les études montrent que les pays à la traîne sont majoritairement musulmans", souligne Lamia Merzouki, directrice générale adjointe de l'organisation "Casablanca Finance City Authority". Sans oublier que "partout et surtout dans le monde arabo-musulman, les femmes ont des croyances, des peurs, des barrières qui les autolimitent", dit-elle.
Qu'il soit question du voile intégral ou de l'accès à l'éducation, de création d'entreprises, d'épanouissement personnel, de sexualité, de contraception ou d'avortement, le premier pas est de "donner le choix à toutes celles qui ne savent pas ou n'osent pas", souligne Olfa Terras-Rambourg. De façon générale, "pour aller vers plus de démocratie, il faut aussi et surtout des conditions économiques", estime Sonia Ben Cheik qui dirige l'Office tunisien de la Famille et de la population.
Et pour les femmes du Maghreb, ces moyens économiques relèvent souvent du secteur informel, avec des activités permettant de travailler à la maison - couture, broderie, élevage de volaille ou de bétail...
"Tunisienne de coeur" après une carrière internationale dans le secteur humanitaire, l'Italienne Catarina Occhio développe ainsi depuis trois ans un artisanat de bijoux pour les mères célibataires, souvent condamnées "à l'isolement et à l'exclusion".
L'argent reçu en salaire, le prêt pour développer une activité "ce n'est pas un don, ce n'est pas la charité, cela donne de la dignité", insiste Nadia Salah Dilami. Le bénéfice ensuite, revient en priorité à la famille, à la santé, à l'éducation des enfants, "parce que les femmes ne pensent pas elles en premier".