Ces adolescents qui tentent de gagner un peu d’argent dans les marchés

Soumaya Naâmane Guessous.

ChroniqueNhaze m’âque akhalti? Nhaze m’âque aâmmi? (Je t’aide ma tante, mon oncle?). Une phrase que nous entendons souvent dans les marchés.

Le 26/07/2024 à 10h57

Toujours des garçons. Jamais des filles. Propres, soignés, polis, souriants, aux yeux pétillants d’intelligence. Pendant les vacances scolaires, ils deviennent talbe m’âchou, portefaix, heureux de recevoir quelques pièces d’argent. Ils proposent d’aider sans harceler. Certains insistent «wakha ghir drihème», juste un dirham.

Des collégiens ou lycéens. Les filles aident les mamans dans les foyers. Les garçons sont des «hitistes». «Hitiste» vient de haïte, en arabe (mur). Ils passent leurs journées appuyés à un mur, dans la rue, comme s’ils les soutenaient. On dit aussi chaddine ras eddarbe, ils tiennent les coins de rue.

D’autres cherchent à être autonomes au lieu de demander de l’argent à leurs familles. De milieux défavorisés ou précaires, ils n’ont pas le choix. Dans les milieux plus favorisés, les adolescents perçoivent de l’argent de poche.

Certains sont obligés de faire des petits services même durant l’année scolaire pour acheter des fournitures scolaires, payer le transport… D’autres s’activent seulement lors des vacances. L’argent collecté sert pour certains à financer la rentrée scolaire, totalement ou partiellement.

D’autres travaillent pour aider une mère veuve ou divorcée. Adil, 13 ans: «Ma mère trime toute l’année pour quatre enfants. Je la soulage un peu. Je ramène des légumes, un morceau de dinde, des sardines…»

Outre l’obligation, il y a la recherche de loisirs. Mohamed: «Mon seul loisir est le foot, car c’est gratuit. J’adore la plage. Mais la journée me coûte 50 dirhams.» Des terrains de proximité de mini-foot, gratuits, ont été aménagés par les communes, mais restent insuffisants et parfois mal gérés. Des terrains privés foisonnent depuis peu. Le prix est élevé: près de 500 dirhams pour 10 personnes, pour une heure. Soit 50 dirhams par adolescent.

Pour un pays où la population est jeune, on déplore le manque de loisirs. Tout est payant et trop cher pour les parents. Manque de piscines municipales, même dans les villages et les villes où la chaleur peut dépasser les 40 degrés. Les piscines privées sont excessivement chères, ainsi que les abonnements dans les clubs. Les colonies de vacances qui forment les jeunes et les éduquent sont rares. Les voyages sont chers. Aziz: «J’adore voyager à El Jadida. En travaillant, j’y vais une fois par semaine avec mes amis.»

Que reste-t-il alors à ces ados? L’oisiveté et les écrans. Souvent, ils cotisent pour payer la connexion Internet sur un seul smartphone. Sinon, ils jouent au ballon dans la rue et se font réprimander par les automobilistes qui ne comprennent pas que c’est leur seul loisir et qu’ils auraient souhaité être en voyage ou dans des piscines privées.

Sans occupation saine, ils se réfugient dans la drogue à bas prix, dangereuse pour leur développement physique et mental.

L’argent collecté peut aussi servir à s’habiller, se chausser et parfois également pour les frères et sœurs.

Dans les marchés, certains les exploitent pour deux sous, d’autres les chassent méchamment, d’autres leur tendent une pièce de monnaie pour avoir bonne conscience. Ce que je ne fais jamais. Je me dis qu’ils ne mendient pas, ils travaillent. Je valorise leur travail. Ai-je raison? Je ne sais pas!

D’autres enfin les valorisent en leur permettant de les aider même quand le panier est léger. Quelques rares personnes leur offrent des produits dont ils sont privés. Driss, 15 ans: «Quand je vois ce que les gens achètent, je me dis que leurs enfants ont de la chance.»

Au Maroc, l’âge légal du travail est de 15 ans. Le Code du travail punit d’une amende de 25.000 à 30.000 dirhams l’employeur qui engage un salarié de moins de 15 ans. S’il récidive, il est passible d’une amende double et de 6 jours à 3 mois d’emprisonnement.

La scolarité est obligatoire de 6 à 15 ans. Le corps de l’enfant et de l’adolescent, en croissance, doit être protégé des effets néfastes du travail: blessures par des outils inadaptés à son âge et à son physique, charges lourdes, substances toxiques, épuisement… Mais nous n’avons aucune loi relative au travail des enfants pendant les vacances, contrairement à d’autres pays.

En France, par exemple, l’âge minimum au travail est de 16 ans. L’enfant peut travailler la moitié des vacances d’au moins 14 jours. Une semaine de 35 heures et 7 heures par jour. Son salaire doit être au moins de 80% du SMIG, mais avec l’accord de l’inspection du travail.

Les petits travaux sans risque sont courants: cueillette des fruits et légumes, employé de magasin, petites courses, petits travaux chez les voisins, ménage, garde d’enfant ou d’animaux…

Au Québec, l’âge minimal légal est de 14 ans. Mais l’enfant peut travailler à partir de 12 ans: lors de l’année scolaire, pas plus de 17 heures, de lundi au vendredi. Sinon lors des vacances de plus de 7 jours. Le type de travail ne doit pas être risqué ni dangereux.

Dans plusieurs pays occidentaux, l’enfant est encouragé à travailler jeune pour son argent de poche et non par nécessité. C’est pour avoir de l’expérience et être responsabilisé, même si les parents ont les moyens.

Chez nous, ce sont les enfants de familles nécessiteuses qui cherchent à travailler lors des vacances.

Dans ces pays, plusieurs secteurs d’activité et entreprises offrent du travail à cette population et veille à sa sécurité. Ce qui n’existe pas chez nous, sauf dans le cadre d’entreprises familiales.

Le problème se pose aussi pour les filles qui ont peu de choix: usines de confection ou d’agroalimentaire, travaux ménagers, travaux de champs…

Les jeunes talbe m’âchou dans les marchés sont courageux, ambitieux, responsables. N’hésitez pas à leur confier vos paniers pour les encourager, parce qu’ils le méritent.

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 26/07/2024 à 10h57