Amendis et moi

Tahar Ben Jelloun.

ChroniqueJe ne sais pas comment fonctionne la société Amendis. Tout ce que je sais, c’est que de plus en plus de Tangérois se plaignent. Ils ne sont pas contents, se sentent volés. Ce n’est pas envisageable que tous les plaignants aient tort. Il y a bien quelque chose de déréglé dans la manière de faire.

Le 12/02/2024 à 11h02

Si vous voulez faire plaisir à un habitant de Tanger, dites du mal de la société Amendis, filiale de Veolia.

Amendis est un opérateur de services publics en charge, depuis 2002, de la distribution d’eau et d’électricité . Elle a assaini les infrastructures, ce que tout le monde lui reconnaît, en même temps qu’elle a salé les factures.

Le nombre de citoyens qui se plaignent des méthodes d’Amendis ne cesse d’augmenter. Je me souviens d’une manifestation de consommateurs mécontents à Tétouan. D’après ce qu’on m’a dit, les Tétouanais avaient boycotté cette société et l’avaient amené à changer ses pratiques et surtout ses factures. Elles avaient été revues à la baisse.

Avant la crise du Covid, Amendis avait décidé de contrôler les grandes villas dans le quartier résidentiel de California à Tanger. Elle aurait constaté que certains propriétaires fraudaient. Peut-être. Je ne suis pas allé vérifier par moi-même. Le fait est que l’anathème est tombé sur toutes les habitations de ce quartier, obligeant leurs propriétaires à payer des amendes de plusieurs dizaines de milliers de dirhams sous peine de coupure d’eau et d’électricité.

J’ai été l’une de ces victimes. Du jour au lendemain, je fus accusé d’avoir fraudé, autrement dit d’être intervenu sur la tuyauterie pour que ma consommation apparaisse comme la plus faible possible. Accusé d’être un voleur. Oui, ce furent les termes qu’un administratif avait utilisés. Je lui ai expliqué: j’habite à l’étranger, je paye mes factures par virement bancaire. Vous m’accusez d’avoir truqué les compteurs. Et cela sciemment pour voler Amendis. Donc, vous partez du constat que je n’ai aucune dignité, aucun honneur, et que je me suis abaissé à voler quelques centaines de dirhams à votre société. Si je paye l’amende, cela voudra dire que je reconnais avoir été un fraudeur, un truqueur, un voleur. Je suis désolé, Monsieur le responsable, cela ne correspond en rien ni à mon éducation ni à mes principes ni au respect des valeurs qui font ce que je suis.

Mais si je ne paye pas, vous couperez l’eau et l’électricité, ce qui occasionnera pour moi un grand désagrément, puisque la maison est louée à des étrangers qui ne pourront pas comprendre ce micmac et ne pourront ni se laver ni s’éclairer.

Le responsable, apparemment un Monsieur irréprochable, me dit: «Mais ce n’est pas vous qui avez fraudé; la fraude date d’avant l’achat de la maison. En principe ce sont les anciens propriétaires qui vous ont mis dans cette situation, mais comme vous êtes actuellement le propriétaire, vous devez payer la somme de 42.000 DH! Sinon, le système nous oblige de vous faire payer l’amende».

Face à ce discours, je n’avais aucune arme. Le chantage est impitoyable, brutal. Je paye ou je laisse mes locataires sans eau ni électricité. J’ai payé par deux chèques sur la Banque populaire.

En quittant le bureau du responsable, celui-ci a sorti son téléphone et m’a demandé de prendre une photo où le sourire était recommandé, tout fier de se photographier avec un écrivain.

N’habitant pas tout le temps à Tanger et, surtout, n’ayant pas le temps, je n’avais pas pu leur intenter un procès et leur prouver que jamais de ma vie je n’ai fraudé. En me disant au revoir, il me dit: «Désolé, c’est le système qui a évalué le montant à débourser, je n’y peux rien, le système». Oui, «le système» a bon dos!

Ce scandale avait fait quelque bruit. Mais avec la brutalité du chantage, les gens finissent par céder et payer.

Je ne sais pas comment fonctionne cette société. Tout ce que je sais, c’est que de plus en plus de Tangérois se plaignent. Ils ne sont pas contents, se sentent volés. Ce n’est pas envisageable que tous les plaignants aient tort. Il y a bien quelque chose de déréglé dans la manière de faire.

Dès que vous parlez d’Amendis, vous entendez chacun raconter ses désagréments avec cette société. Impopulaire, souvent à raison. Le citoyen est démuni face aux factures et surtout au chantage à la coupure.

Tanger aurait besoin qu’une enquête sérieuse soit faite auprès de la machine Amendis et des consommateurs sommés de payer ou de se voir privés d’eau et d’électricité. On leur dit: «Payez d’abord, faites la réclamation après». Il se trouve que les citoyens ne sont pas aidés ni protégés contre une société qui ne reconnaît pas ses erreurs. On aurait besoin d’un médiateur, une équipe de techniciens qui jugent en toute impartialité les conflits entre Amendis et ses clients.

Récemment, j’ai reçu sur mon téléphone un avertissement: «Vous devez régler les factures d’eau et d’électricité du mois de septembre et d’octobre dans les plus brefs délais, sinon, coupure…» J’étais sidéré. J’avais déposé à la banque une autorisation de virement par un document délivré par Amendis. Et voilà qu’on me menace de coupure! Je rends visite à l’agence de mon quartier. Une brave femme me dit: «Oui, je me souviens de vous, vous nous avez confié le document avec le tampon de la banque, mais je crois que ma collègue l’a égaré. Donc, Amendis ne recevait pas vos payements. Je vous donne un nouveau document, etc.» Cela m’a fait perdre toute une matinée que j’aurais pu utiliser pour aller marcher sur la plage ou faire quelque chose d’intéressant. Mais les menaces par SMS d’Amendis se moquent pas mal de votre temps.

Il a fallu que je sois victime pour enfin écrire cette chronique, qui, je l’espère, éveillera l’attention des responsables politiques et administratifs du pays.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 12/02/2024 à 11h02