Adieu Jimmy Carter, bonjour les chambres froides

Fouad Laroui.

ChroniqueRien ne devrait empêcher nos imams éclairés (je ne parle pas de ceux qui, par principe, ne veulent jamais rien changer) de prescrire, dans le cas où le défunt aurait de la famille à l’étranger, d’attendre quelques jours avant de le mettre en terre.

Le 15/01/2025 à 11h00

Jeudi dernier, CNN a diffusé en direct les obsèques de Jimmy Carter. L’ancien président des États-Unis est décédé à l’âge vénérable de 100 ans. Pour lui rendre un dernier hommage, les quatre anciens présidents américains, plus Joe Biden, étaient présents à la cathédrale de Washington. Ce fut, ma foi, une belle et digne cérémonie. Chaque corps d’armée était représenté pour porter le cercueil. Vingt et un coups de canon ont été tirés et des discours émouvants, parfois avec une pointe d’humour, furent prononcés. L’organisation était impeccable.

Vous vous demandez peut-être pourquoi je vous parle de ça. Serais-je devenu le correspondant du Le360.ma à Washington?

Non. Je hante toujours les R’hamna, pour le meilleur et pour le pire. En fait, si cette cérémonie m’a tant intéressé, c’est pour une raison plus personnelle, plus ‘locale’. Dans le droit fil de mon article de la semaine dernière (‘Ce que veulent les MRE’), je me suis souvenu de ce que m’avait dit un jour un émigré marocain à Helsinki, en Finlande, alors que j’y étais en vacances.

- Mon père est mort soudainement, à Casablanca, il y a quelques mois. Le temps qu’on m’en avise, que je prenne quelques jours de congé, que je descende en voiture de Rovaniemi à Helsinki, que je trouve un vol (avec escale) vers le Maroc et que j’arrive enfin à destination, mon père avait déjà été enterré et toute la famille, qui était venue à Casa pour les obsèques, s’était dispersée. Je me suis retrouvé tout seul devant une tombe. On peut imaginer meilleur adieu à son géniteur.

Le maroco-finnois (nommons-le Larbi) avait tiré sur sa cigarette (très mauvaise habitude) puis avait continué:

- Au fond, pourquoi enterre-t-on les gens dans les 24 heures qui suivent leur décès? Ça avait un sens à Médine ou La Mecque il y a quatorze siècles, quand une chaleur suffocante et l’absence de réfrigération faisaient que les cadavres commençaient immédiatement à se décomposer et à sentir. Mais aujourd’hui que nous avons des chambres froides performantes, pourquoi ne pas attendre quelques jours quand le défunt a de la famille en Europe ou aux États-Unis?

«On nous dit que chez nous, l’inhumation doit avoir lieu avant le coucher du soleil si le décès a eu lieu le matin, le lendemain matin s’il est survenu le soir; mais je n’ai pas trouvé cela dans le Coran.»

Jeudi dernier, je me suis donc souvenu de la discussion que j’avais eue à Helsinki avec Larbi et son argumentation m’est apparue encore plus convaincante. Si on avait inhumé Jimmy Carter dans les vingt-quatre heures qui ont suivi sa mort, il aurait été impossible de rassembler toute sa famille, cinq présidents et une douzaine de dignitaires étrangers venus de loin; et on n’aurait certainement pas pu organiser une aussi belle cérémonie.

On nous dit que chez nous, l’inhumation doit avoir lieu avant le coucher du soleil si le décès a eu lieu le matin, le lendemain matin s’il est survenu le soir; mais je n’ai pas trouvé cela dans le Coran: ce n’est donc pas une obligation religieuse. Encore une fois, ce n’est qu’une tradition qui date des temps où les chambres froides des morgues n’existaient pas.

Par conséquent, rien ne devrait empêcher nos imams éclairés (je ne parle pas de ceux qui, par principe, ne veulent jamais rien changer) de prescrire, dans le cas où le défunt aurait de la famille à l’étranger, d’attendre quelques jours avant de le mettre en terre.

C’est trop tard pour le papa de Larbi de Rovaniemi, mais vous auriez ainsi, imams de progrès, la reconnaissance éternelle de maints MRE -et peut-être aussi celle de nos chers disparus.

Par Fouad Laroui
Le 15/01/2025 à 11h00