Vendredi dernier, en conclusion d’un dîner fort agréable chez un ami, du côté de M’diq, un convive me demanda ce que je pensais de cette voyante égyptienne «qui avait prédit le Covid».
Je suis d’un naturel plutôt placide, mais s’il y a une chose qui a le don de m’irriter instantanément, c’est bien ces prétendues intrusions du surnaturel dans ce monde ici-bas.
J’élevai donc la voix -et je m’en excusai par la suite- pour pester contre ces naïfs, ces balourds, ces nigauds qui prêtent créance à de telles âneries. Nom de D.! Pourquoi voulez-vous qu’une madame Olga ou une sitt Magda ou un Sar Peladan aient, entre les milliards d’individus et de chats qui peuplent la planète, un don aussi extraordinaire que celui qui consiste à voir des évènements avant même qu’ils ne se produisent?
Entendons-nous: on peut faire l’hypothèse que telle ou telle chose adviendra dans un avenir proche, par la simple loi des probabilités. Henry Kissinger vient de fêter, le 27 mai dernier, son 100ème anniversaire. Je peux donc faire l’hypothèse qu’il mourra dans les mois ou les années qui viendront. Allez, je me lance: Dear Henry passera l’arme à gauche d’ici le 31 décembre. Si la chose -triste, mais inévitable- se produit, suis-je pour autant une chouaffa? J’ai exercé bien des métiers dans ma vie, j’ai même été infirmier clandestin dans un dispensaire de Boulaouane dans mon adolescence, mais je ne suis pas une chouaffa. Qu’on se le dise.
Pour le Covid, croyez-moi, j’ai vérifié. J’ai même publié naguère le texte suivant:
«En décembre 2019, dans le monde entier, dans toutes les langues -y compris le tagalog et peut-être même le silbo de La Gomera et l’artchi du Daguestan-, des femmes et des hommes se dressèrent -ou s’accroupirent, pour ce que j’en sais- et ils firent ce qu’ils font chaque année à la même époque: des prédictions.
Ils prédirent. Le verbe signifie littéralement: ‘dire avant’. Ils nous dirent donc, avant même que l’année n’ait commencé, ce qu’elle allait apporter. Des tremblements de terre, des tsunamis, la mort du duc d’Edimbourg -cela fait une décennie qu’ils le tuent-, des troubles dans les Andains et le Bangla-Desh inondé, ce qui constitue la définition même du Bangla Desh.
Combien de ces voyants avaient prédit le Covid, cette pandémie qui allait engloutir le monde, donner un coup d’arrêt au tourisme et provoquer la pire récession depuis les années 30? Aucun. Aucun! Qui avait annoncé qu’on verrait en France et dans d’autres pays cette mesure ahurissante en temps de paix: le couvre-feu à 18h00? Aucun. Aucun! Sur un mode plus positif, qui avait claironné que de nouveaux vaccins allaient être développés en quelques mois, ce qui constitue une première dans l’Histoire de l’humanité? Aucun. Nobody. Oualou.
Contentons-nous de compulser un livre publié en octobre 2019 par Élizabeth Teissier, la plus célèbre des astrologues de langue française, intitulé «2020, le grand tournant». On lit ceci en guise de résumé: «Ce livre tente, avec l’éclairage original et précieux des grands cycles planétaires qui reflètent notre devenir collectif et individuel, de livrer ma vision d’astrologue/sociologue, à travers des analyses géopolitiques: thèmes d’Emmanuel Macron, de Donald Trump, des États-Unis et des prochaines élections, de Vladimir Poutine… Quel rôle vont jouer l’islam et l’État islamique? Notre civilisation chrétienne vit-elle ses dernières heures? Dans quel sens l’économie va-t-elle évoluer: allons-nous vers un krach boursier, ou pire?»
En gros, l’année 2020 aurait dû être celle de l’État islamique (qui a disparu entre-temps), de la fin de la civilisation chrétienne et de l’inévitable krach boursier (où?). Aucune trace de virus.
Je fais chaque année ce petit exercice, assez répétitif. Mais on connaît le mot de Voltaire: «Je cesserai de me répéter quand vous vous corrigerez». On peut constater chaque année que les médiums et les astrologues ne voient rien, sauf des banalités («troubles de santé pour un homme politique en vue»). Et pourtant, ils sont peu, ceux qui se corrigent, parmi les consommateurs: on continue de les lire, de les consulter -jusqu’à deux mille euros la consultation, paraît-il-, de les inviter à la radio ou à la télévision.
Cela dit, la situation est exceptionnelle cette fois-ci. Comme son nom l’indique, la pandémie a touché le monde entier. Personne n’a échappé à ses effets, ne serait-ce que le port du masque, la fermeture des restaurants, les restrictions de déplacement. Nous sommes tous embarqués. Est-il vraiment possible que l’an prochain, un de ces clowns puisse s’approcher de nous, la face enfarinée, et susurrer: «Pour l’année prochaine, je prédis que… »?
Bref, pour ceux qui ont des yeux et une cervelle, la pandémie a eu au moins un effet positif. Les choses sont claires. Il y a d’un côté les scientifiques qui peuvent faire des prévisions, avec des modèles solides, des données chiffrées et l’usage de la raison -et qui n’hésitent pas à reconnaître qu’ils se sont trompés quand ils se trompent. Et il y a les charlatans qui prétendent faire des prédictions à l’aide d’une boule de cristal ou des élucubrations de Nostradamus. À chacun de choisir».
La prochaine fois que quelqu’un viendra vous emmieller avec une pseudo-voyante égyptienne, un astrologue Cherokee ou une chouaffa de T’nine Ch’touka, éclatez de rire et dites-lui simplement ceci: «La pandémie qui a fait le tour du monde, personne ne l’avait prédite ni prévue, ce qui disqualifie totalement et définitivement cette engeance de charlatans. Disparaissez, escrocs! Ne me faites plus perdre mon temps».
Et allez plutôt vous plonger dans un livre de paléontologie, de physique ou de botanique. La science, il n’y a que ça de vrai.