«Voleur», «à l’identité inconnue», «bâtard»… quand Tebboune racle le fond du caniveau pour qualifier Boualem Sansal

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune lors de son discours devant les deux chambres du parlement, dimanche 29 décembre 2024.

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune lors de son discours devant les deux chambres du parlement, dimanche 29 décembre 2024.

Au détour d’un discours-fleuve, prononcé dimanche 29 décembre devant les deux chambres du Parlement, le président algérien Abdelmadjid Tebboune s’est arrêté sur la situation de l’écrivain Boualem Sansal… pour littéralement l’insulter et le traiter de tous les noms. Une posture qui en dit long sur le vulgaire d’un présumé chef d’État et qui enterre tout espoir de libération de l’homme de lettres, dont le seul tort a été de rappeler de biens gênantes vérités.

Le 30/12/2024 à 12h01

Le moment est solennel, l’assistance nombreuse, constituée de l’élite du pays, entre parlementaires, ministres et hauts gradés de l’armée. Le tout est retransmis, à grand renfort de projecteurs, par tous les médias du pays, publics comme privés. Dimanche 29 décembre, devant les membres des deux chambres du Parlement, le président algérien Abdelmadjid Tebboune s’est livré à son exercice préféré: le radotage, distillé au fil d’un discours de plus d’une heure et demie. Et encore! Il s’agit de la version revue et corrigée par un grossier montage et de grands coups de ciseaux. Entre prouesses imaginaires et promesses intenables, il a daigné évoquer le cas de Boualem Sansal. Une première! D’aucuns se seraient attendus à un début de commencement d’explication sur les circonstances lunaires d’arrestation et d’emprisonnement de l’écrivain, coupable d’avoir des idées, ou encore sur le chef d’accusation («terrorisme») sous lequel il est poursuivi. Certains tablaient sur un engagement présidentiel pour un procès à l’équité minimale, tandis que d’autres nourrissaient même l’espoir d’une grâce présidentielle, à la suite de la mobilisation internationale en faveur de l’écrivain. Il n’en sera rien.

De la part du président de la République, Boualem Sansal aura droit aux insultes et à la diffamation. Et ce n’est pas une figure de style. Pour Abdelmadjid Tebboune, Sansal est un «voleur», à «l’identité inconnue» et un «bâtard». Oui, vous avez bien lu. C’est ainsi qu’un écrivain de renommée mondiale est qualifié publiquement, face caméra, par le numéro 1 de l’exécutif algérien, du moins officiellement.

Alors que jusqu’ici, c’est une posture proche de la sévère gueule de bois qui caractérisait son épuisant discours, Abdelmadjid Tebboune a retrouvé une insoupçonnable énergie à l’évocation du cas Sansal, bombant le torse et hurlant ses phrases. Une façon de plaire à ses employeurs au sein de l’armée, alignés en tenue civile juste devant lui. «Vous venez (la France, NDLR) aujourd’hui m’envoyer un voleur, à l’identité inconnue, un bâtard, pour me dire que la moitié de l’Algérie appartenait en fait à un autre pays (le Maroc, NDLR)!», a lancé le président, l’air de découvrir une vérité qu’il connaît pourtant si bien. Au demeurant, et par «bâtard», Abdelmadjid Tebboune pointait le fait que Sansal est de père marocain.

Cet extrait d’anthologie en matière de bassesse et de vulgarité a été sabré de la version officielle du discours, actuellement diffusée, mais il est bien trop tard. On retiendra les larmes de crocodile de Tebboune à l’évocation des figures marquantes de la guerre d’indépendance en Algérie. Et dont il se réclame. Pour précision, les phrases charcutées ont été proférées à 1h23 du discours «intégral».

La fin de tout espoir de libération

La moralité de ce langage de caniveau, le pire jamais atteint par un chef d’État, est que Boualem Sansal, âgé de 80 ans, est en détention et qu’il y restera. Le 25 décembre, le président avait annoncé une grâce accordée à 2.400 détenus, mesure qui pouvait laisser imaginer une clémence à l’égard de l’écrivain. Cet espoir est désormais mort. Regroupant quelque 1.000 membres, essentiellement des intellectuels de tout bord, le Comité de soutien international à Sansal ne s’y trompe pas. Dans une réaction aux vociférations de Tebboune, reprise notamment par le quotidien français Le Figaro, ledit comité indique que ce discours laisse «peu d’illusions» quant au «sort réservé à notre ami et compatriote». «Les propos du chef de l’État algérien confirment s’il le fallait le statut de prisonnier politique de celui qui est l’otage d’un pouvoir arbitraire et policier», assène le texte. Un homme qui n’avait fait «qu’exercer sa liberté d’expression d’écrivain et de penseur».

Arrêté le 16 novembre dernier à l’aéroport d’Alger et porté disparu pendant plus d’une semaine– les autorités algériennes n’ont communiqué ni sur son interpellation ni sur les lieux de sa détention–,l’écrivain franco-algérien a été placé sous mandat de dépôt le 26 novembre par le parquet antiterroriste d’Alger. L’homme de lettres est accusé d’«atteinte à l’intégrité du territoire national», accusation assimilée à un acte de «terrorisme» selon l’article 87 bis du Code pénal algérien. Ce dernier considère ainsi «comme acte terroriste ou subversif, tout acte visant la sûreté de l’État, l’intégrité du territoire, la stabilité et le fonctionnement normal des institutions». Le crime de Boualem Sansal? Avoir déclaré, le 2 octobre 2024 au média français Frontières que «quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc». En cela, il ne faisait qu’énoncer une évidence partagée par tous les historiens sérieux. Mais c’est compter sans la névrosée «force de frappe» voisine.

S’il est confirmé, ce chef d’accusation peut valoir à l’écrivain la prison à perpétuité, voire la peine de mort. En attendant, avancé en âge et souffrant, il a été, à la mi-décembre, transféré à l’hôpital Mustapha-Pacha d’Alger.

Le plan d’autonomie, «une idée française»

Comme pour mettre en contexte sa furie contre un simple écrivain, Abdelmadjid Tebboune n’a pas manqué de s’attaquer à la France, pérorant avec un lexique usé sur la colonisation et accusant de génocide les tenants du pouvoir français de l’époque. Au dernier décompte, sorti tout droit de la tête du président, le nombre des «martyrs» algériens de la guerre d’indépendance culmine désormais à 5,6 millions. Le Raïs ne pouvait non plus laisser échapper l’occasion pour s’attaquer à cet «autre» ennemi: le Maroc. S’il est admis depuis toujours que le Sahara marocain est une question existentielle pour le régime d’Alger, on notera la dernière trouvaille de Tebboune: le plan d’autonomie sous souveraineté du Maroc est «en fait»… une idée française, «élaborée non pas à Rabat ou à Marrakech, mais à Paris, sous la présidence (Jacques) Chirac». Quand on sait que la France a mis près de 20 ans, depuis la présentation par le Maroc de son plan d’autonomie devant l’ONU, pour reconnaître la souveraineté du Maroc sur ses provinces du Sud, il y a comme une incohérence dans le raisonnement de Monsieur le président. Si seulement c’était la seule…

Par Tarik Qattab
Le 30/12/2024 à 12h01