Abdemadjid Tebboune n’a pas attendu le volet consacré aux relations internationales pour attaquer le Maroc. Lors d’une intervention, soumise à de nombreux montages, et diffusée en différé voici deux jours, le 1er mars 2021 sur les chaines et radios publiques algériennes, Tebboune a laissé le sentiment d’un président qui ne noie.
D’emblée, à une question sur la flambée des prix de produits de large consommation qui laminent le pouvoir d’achat du citoyen algérien, Tebboune se défend : «ils l’ont rendu fou avec les rumeurs». Et sans répondre sur la hausse des prix, Tebboune enchaîne sur les rumeurs : «97% de ces rumeurs viennent de l’extérieur et vous savez où (le Maroc, Ndlr)» (6’00’’). Et d’ajouter: «J’étais déchiré, surtout quand je voyais des gens qui n’ont ni religion, ni morale, répandre des rumeurs selon lesquelles je ne suis pas malade et que j’ai été agressé».
Et de s’écrier: «nous connaissons et avons les moyens de savoir l’origine de ces 98 sites, qui viennent de là (geste ample de la main indiquant l’ouest, Ndlr), de chez l’un de nos voisins (toujours le Maroc, Ndlr) qui répandent leurs rumeurs depuis la France et l’Espagne, et nous les suivons».
C’est donc la faute du Maroc si les Algériens se sont posés des questions sur un président prétendument atteint du Covid-19 et qui a disparu pendant deux mois, en Allemagne, sans donner aucun signe de vie, sans qu’aucune image ne vienne rassurer la population sur son état de santé. Ajoutons à cela une communication catastrophique de la présidence algérienne qui a prêté à la chancelière allemande, Angela Merkel, des propos lénifiants sur l’état de santé du président absent, propos d’ailleurs vite démentis par un responsable des relations avec la presse à la chancellerie, et l’on aura tous les ingrédients pour fabriquer un cocktail explosif d’interrogations favorables à tous les scénarios et rumeurs.
Mais cela, Tebboune se garde bien de le reconnaître. C’est tellement plus rassurant de dire que c’est la faute au voisin au lieu d’assumer sa responsabilité et celle de conseillers incompétents.
Les rumeurs ont bon dos. Interrogé sur le petit taux de participation au référendum sur la Constitution, Tebboune répond que des rumeurs ont été répandues, allant jusqu’à terroriser le peuple en promettant la bastonnade à ceux qui prendront le chemin des urnes. Pour rappel, avec un taux de participation, officiellement de 23,7%, sur un corps électoral de 24 millions d’âmes, le référendum a tourné à l’humiliation pour Tebboune, dans la mesure où il l’a gratifié du taux de participation le plus faible enregistré à un scrutin en Algérie depuis son indépendance en 1962.
Fanfaron et déphaséC’est un président faible, décrié par le peuple, qui a bombé le torse, opposant des postures aux arguments. Son intervention est truffée de fanfaronnades et de considérations démagogiques.
Exemples:
«Les critiques que j’ai formulées avant d’être président dépassent les revendications du Hirak» (14:36), affirme Tebboune. Compte non tenu du côté sans ancrage dans le réel de cette assertion, Tebboune serait donc d’accord avec l’une principale revendication du Hirak: un «Etat civil, non militaire».
Le bluff, la démesure et le manque de réalisme caractérisent cette autre affirmation: «il n’y a aucune constitution au monde qui confère autant de droits aux citoyens comme la constitution algérienne» (37:30).
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Les propos de Tebboune sont empreints de populisme et de démagogie. Participe de cet esprit cette phrase: «alors que certains dépensent de l’argent dans des jacuzzis en Algérie, d’autres ne trouvent pas d’eau à boire» (56:15).
«L’Algérie est une force de frappe en Afrique. Nous sommes une puissance africaine.» (1:01:15). Et pour montrer l’étendue de la puissance continentale de l’Algérie, Tebboune s’interroge «combien de ministres algériens des Affaires étrangères ont fait le déplacement en Afrique du Sud en 10 ans?» (1:02:50). Certes beaucoup, mais ce que le président oublie de dire, c’est que tous ces ministres multiplient les déplacements en Afrique du Sud à une seule fin: contrer l’intégrité territoriale du Maroc. Cela fait beaucoup d’énergie dépensée pour zéro valeur commerciale, zéro tissu productif, zéro contribution au développement des échanges ou d’un partenariat sud-sud.
D’ailleurs, Tebboune le reconnaît en affirmant que les échanges commerciaux avec l’Afrique du Sud auront lieu «demain». Inch’Allah!
Interrogé sur la participation de l’armée algérienne, sous commandement français, avec les forces en présence au Sahel, Tebboune prétend que «la France a mille égards pour l’Algérie. Nous ne sommes pas un protectorat. Vous parlez d’un autre pays (le Maroc, Ndlr) qui n’est même pas consulté. La France y fait ce qu’elle veut et ce pays applique, sans dire un mot, ce que la France lui dicte de faire» (1:07:30). Décidément, le Maroc est une obsession salutaire pour Tebboune.
Et d’insister: «tous les pays ont mille égards pour l’Algérie. Vous avez vu comment les gens courent après la Chine pour avoir le vaccin anti-Covid, sans y parvenir. Et nous, la Chine nous a envoyé 200.000 doses gratuitement» (1:20:00). Heureusement qu’il existe des âmes charitables pour faire don de quelques vaccins à la puissance continentale décrite par Tebboune.
Fuite en avant et déni de la réalitéInterrogé sur les manifestations de vendredi dernier où les citoyens ont crié: «Tebboune l’usurpateur a été placé par les militaires», le président algérien a cette réponse étonnante: «les gens sont sortis pour se remémorer le Hirak» (15:00). Et d’ajouter: ceux qui sont sortis pour d’autres raisons «ne sont pas avec les revendications du Hirak authentique» (16:00). Il faut comprendre par «Hirak authentique», les manifestations qui ont précédé la désignation de Tebboune par le défunt Ahmed Gaïd Salah comme président de la république d’Algérie. Seulement, Tebboune semble oublier que les manifestations du Hirak se sont poursuivies après le 12 décembre 2019, date à laquelle il a été nommé président, et que c’est la crise sanitaire qui a mis à l’arrêt provisoire les manifestations.
Autre fuite en avant : «tous ceux qui ont voté aux dernières élections présidentielles et ne sortent pas dans la rue soutiennent le président de la république» (16:00).
Interrogé sur le slogan-phare du Hirak appelant à instaurer un Etat civil à la place du régime militaire, Tebboune a une réponse qui donne la mesure du déni de réalité par un pouvoir qui va droit au mur. Il commence par dire: «l’armée a atteint un degré de professionnalisme et de savoir-faire qui font en sorte qu’elle s’est éloignée complètement de la politique» (19: 00). Et d’ajouter: «il n’y a aucune armée au tiers monde qui applique les directives du président comme en Algérie». Et de pointer un doigt accusateur sur les observateurs qui ont du mal à suivre la cadence des réformes en Algérie, et n’ont pas su comprendre que l’armée ne s’occupe plus de la chose politique.
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Poussant plus loin son idée, Tebboune affirme que «les données en Algérie se transforment à la vitesse de l’éclair et les gens restent prisonniers de leurs préjugés» (20:55). Quand on sait que les dirigeants algériens promeuvent l’immobilisme et que la majorité de leurs analyses géopolitiques sont encastrées dans l’ère de la guerre froide et l’époque du colonialisme, on peut se demander à quoi va apparenter Tebboune la vitesse des réformes en Algérie, quand les gérontocrates au pouvoir bougeront de quelques centimètres dans leur grille de lecture du monde.
Un autre exemple de la fuite en avant est lié à la gestion de la crise sanitaire. Tebboune loue la façon dont été géré le confinement en Algérie. «Dans d’autres pays (le Maroc encore, Ndlr), le confinement se fait avec des chars. Tu sors, tu es battu. J’ai faim, crève!» (1:10:00). Il est à rappeler que la gestion par les autorités algériennes de la crise sanitaire est l’une des pires au continent. Omerta sur le nombre de tests, cas d’infection exagérément sous-évalués, absence de fonds Covid-10 pour les plus démunis, et, surtout, campagne de vaccination désastreuse.
Des remèdes miraculeux aux antipodes avec la posture d’un chef d’EtatTebboune affirme que «l’agriculture a rapporté 25 milliards de dollars» (24:30), ajoutant qu’elle a dépassé pour la première fois la rente des hydrocarbures. Or, la richesse de l’agriculture ne se mesure pas en dollars, parce que les produits agricoles algériens ne s’exportent pas. Et dans un pays où les hydrocarbures représentent 98% des exportations, étant de très loin la principale source de devises, le moins que l’on puisse dire c’est que la quantification de l’agriculture en dollars est farfelue.
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Autre propos de bonimenteur est lié à l’importation de céréales par l’Algérie. Il convient de préciser que l’Algérie est dans le top 5 mondial des plus grands importateurs de céréales (blé, farine et semoules). Les importations de céréales ont coûté 2.7 milliards de dollars à l’Algérie en 2019. La croissance démographique en Algérie (+900 000 naissances par an) augmente chaque année les besoins du pays en céréales. Tebboune a une solution simple et efficace à la quadrature du cercle liée à l’importation de céréales: «on résout le problème des céréales avec l’arrosage ponctuel» (25:00). Ce miraculeux «arrosage ponctuel», précise-t-il, «va combler le déficit de 20% de nos importations en céréales». Et, assure le président algérien, le problème sera alors résolu!
Halima et le café du CommerceSi le Maroc a traversé de bout en bout la prestation de Tebboune, ce dernier n’y fait ouvertement référence que lorsqu’il évoque le Sahara atlantique.
En ce qui concerne le conflit du Sahara marocain, Tebboune a souligné que son pays «n’abandonnera pas la question du Sahara occidental, une question d’ailleurs tranchée en 1989 lors d’une réunion ayant regroupé le souverain marocain Hassan II, le souverain saoudien Fahd Ben Abdelaziz, et l’ancien président Chadli Ben Jdid». (1:04:30)
«Ils ont convenu, à la demande du roi Hassan II, à ce que la question du Sahara occidental relève des prérogatives de l’ONU et pour une reprise des relations entre les deux pays», allusion faite à la réunion qui a abouti à la création de l’Union du Maghreb Arabe, a-t-il rappelé. Et d’ajouter, d’une façon indigne de la part d’un homme d’Etat, plus appropriée aux ragots du café du Commerce: «en 1989… les frontières ont été ouvertes, mais Halima (le Maroc encore et toujours, sic, et Ndlr) est revenue à ses anciennes habitudes».
Durant son court mandat, Tebboune a cherché à se donner une posture d’homme d’Etat, mais il a été constamment rattrapé par sa nature qui ne l’habilite pas à la fonction présidentielle. Sa prestation de lundi dernier, supposée le rendre moins impopulaire, risque de l’enfoncer davantage. Le peuple algérien ne s’y trompera pas, dès vendredi prochain.