Le débat académique international sur le Sahara est aujourd’hui saturé de «recherches» et de récits contestant l’intégrité territoriale du Maroc. Ces travaux sont majoritairement produits par des chercheurs occidentaux ou latino-américains, dont certains écrivent sans la moindre référence à l’implication coloniale directe de leurs propres États dans ce dossier — un silence qui constitue, à tout le moins, un manquement aux principes éthiques de la recherche scientifique.
On peut d’ailleurs relever, non sans une pointe d’ironie, une «bonne nouvelle» dans ce paysage: malgré l’alignement du récit algérien sur les catégories épistémologiques dominantes, héritées pour l’essentiel de l’ordre colonial et parfaitement compatibles avec les orientations de nombreuses revues et maisons d’édition, les chercheurs algériens demeurent eux aussi largement absents de l’édition académique internationale, rappelant que le simple mimétisme colonial ne suffit pas à produire une recherche scientifiquement crédible.
Face à cette profusion de récits adverses, le contraste est frappant: les chercheurs marocains restent, eux aussi, largement sous-représentés dans les revues classées et les grandes maisons d’édition académiques, alors même que les archives sont abondantes, les travaux historiques nombreux et les compétences universitaires bien établies. Pourquoi, dès lors, peinent-ils à publier des articles et des ouvrages de référence sur le Sahara dans ces espaces de légitimation scientifique, tandis que des travaux parfois moins étayés, mais plus conformes au récit dominant, y trouvent leur place?
La réponse ne réside ni dans l’incompétence du chercheur marocain ni dans une faiblesse intrinsèque de la recherche nationale. Elle tient plutôt à une combinaison de facteurs objectifs et subjectifs, inscrits dans la structure même de l’édition académique internationale.
D’un point de vue structurel, les grandes revues et maisons d’édition ne fonctionnent pas dans un espace neutre. Elles s’inscrivent dans des cadres théoriques façonnés par une histoire intellectuelle occidentale encore profondément marquée par l’héritage colonial. Elles privilégient un modèle unique de souveraineté territoriale, une conception rigide de l’État-nation et une lecture normative de l’autodétermination, présentées comme des évidences universelles plutôt que comme des constructions historiques situées.
Dans ce contexte, l’approche marocaine, fondée sur une historicité différente de la souveraineté, intégrant des notions telles que la bayʿa, la légitimité spirituelle ou des formes d’autorité politique non strictement territoriales, devient difficilement lisible dans le langage académique dominant. Non par manque de rigueur, mais parce qu’elle remet en question les catégories mêmes à travers lesquelles le conflit est pensé. L’exclusion s’opère alors moins par un rejet explicite que par les mécanismes ordinaires de l’évaluation par les pairs.
À ces contraintes structurelles s’ajoutent des facteurs internes. Le plus visible est la persistance, au Maroc, d’un discours de plaidoyer étroitement lié au politique dans des espaces censés relever de la recherche scientifique. Trop souvent, les travaux sur le Sahara adoptent une posture défensive, avec des conclusions préétablies et une sélection orientée des sources. Ce type d’écriture peut être efficace dans les médias ou les forums diplomatiques, mais il est perçu, dans les revues académiques internationales, comme normatif ou insuffisamment critique.
Un autre facteur, plus discret mais décisif, est le retrait progressif de chercheurs marocains expérimentés dans la publication internationale. Beaucoup hésitent à s’engager sur le Sahara par crainte pour leur réputation académique. Dans de nombreuses universités occidentales, toute recherche qui s’écarte du cadre onusien dominant risque d’être perçue comme hostile à l’autodétermination ou aux «droits humains», indépendamment de sa qualité scientifique. Ce risque réputationnel conduit nombre de chercheurs à éviter le sujet ou à reproduire les récits dominants, accentuant ainsi le déséquilibre du champ.
Enfin, une responsabilité institutionnelle ne peut être ignorée. Le Maroc organise chaque année de nombreux colloques et conférences sur le Sahara, parfois de grande ampleur, sans que ces événements ne débouchent sur des publications internationales majeures. Articles évalués par les pairs, ouvrages collectifs chez des éditeurs académiques de premier plan: ces productions restent rares. Les conférences deviennent des fins en soi, détachées de toute stratégie éditoriale à long terme.
Sortir de cette impasse suppose un changement de paradigme. Il ne s’agit pas de produire davantage de discours défensifs, mais de transformer la question du Sahara en un objet critique, capable de dialoguer avec les débats contemporains sur la souveraineté, le droit international et le legs colonial. Cela implique des projets collectifs, interdisciplinaires, pensés dès l’origine pour une publication internationale, ainsi qu’un investissement sérieux dans l’édition académique et l’accompagnement conceptuel.
Dans cette perspective, les approches décoloniales, articulées à une critique des fondements positivistes du droit international, constituent sans doute l’un des leviers les plus prometteurs pour rendre la recherche marocaine sur le Sahara lisible, audible et durablement recevable dans l’espace académique mondial.








