L’historien français Daniel Rivet est catégorique; «La montagne est la clé de voûte sur laquelle s’édifie le Maroc». Durant la longue histoire de notre pays, elle a de tout temps marqué les évènements et les hommes. Au gré des situations, refuge ou déversoir de populations, son empreinte atavique sur les hommes et femmes qui l’ont fréquentée a été forte. Des qualités radicalement profondes de fierté, de solidarité et d’endurance demeurent à nos jours.
Quelque part négligée dans son développement au profit des côtes atlantiques et méditerranéennes plus accueillantes, elle s’est rappelée à nous à l’occasion du séisme d’Al Haouz.
Alors que la plupart des observateurs s’attendaient à un «simple» plan de reconstruction des édifices et infrastructures démolis, pour une population estimée largement à 300.000 habitants, le roi Mohammed VI a décidé de donner à l’intervention de l’État une tout autre dimension, incluant six provinces se trouvant dans 4 régions, pour une population globale de 4.2 millions de personnes. Une population ayant dans sa majorité un PIB par habitant des plus bas du Maroc, comme l’a rappelé une publication récente du Haut-Commissariat au Plan.
Une partie importante des territoires montagneux du Maroc est concernée. Il ne s’agit pas uniquement de reconstruire. Il y a volonté de mettre en place un nouvel écosystème (milieu organisé) économique, social et culturel de montagne, permettant aux populations autochtones de mener une vie digne, en exerçant un métier et en profitant des services sociaux nécessaires.
Le Maroc a déjà à son «actif» deux expériences importantes de reconstruction, celle d’Agadir, suite au séisme de 1960, et celle d’Al Hoceima en 2004. Les deux se sont limitées aux espaces urbains, sans prétendre élargir le spectre d’intervention à l’arrière-pays, avec un véritable plan de développement. Le Maroc se trouve devant une situation inédite.
Toujours dans la démarche positive de contribution à débat, que tous les Marocains souhaitent riche, faisant appel à plusieurs disciplines et porteuse de propositions pertinentes, permettez le rappel du contenu de quelques expériences étrangères réussies de gestion de cas similaires : la reconstruction après séisme survenu dans une zone montagneuse.
Une reconstruction/développement réussie doit satisfaire à deux prérequis: un organe de gouvernance apte à assurer une parfaite coordination entre les différents intervenants -et ils sont nombreux-, loin des contingences politiques et préoccupations électorales, d’une part, et «l’écoute» et la participation effectives de l’ensemble des populations concernées à la réalisation du projet, d’autre part.
Les expériences que nous avons eu l’occasion d’étudier ont privilégié l’option d’un Haut-commissaire ayant toute latitude à mener à bon port les programmes convenus, avec la possibilité de faire appel aux divers organes publics et/ou privés. Il revient aussi à lui de gérer les fonds destinés à la reconstruction dans le respect des lois.
Les avantages «politiques», managériaux et financiers avancés par les tenants de cette option sont: une autonomie par rapport aux différents exécutifs (nationaux et régionaux), un éloignement des instrumentalisations politiques et des échéances électorales inhérentes à tout jeu démocratique, pour le volet politique; le volet managérial insiste quant à lui sur l’intérêt d’un pilotage doté d’une vue globale facilitant une bonne coordination et la célérité dans la prise de décision; enfin, un fonds spécifique «neutre» encourage les dons, l’éloignement des autres contraintes budgétaires de l’État et toute tentation d’amalgame intellectuel ou dans la communication.
La population qui a eu à subir les dégâts occasionnés par le séisme a, d’un avis unanime, montré des qualités de courage, de solidarité et de générosité impressionnantes. Ajoutons à cela, par la force des choses, une excellente connaissance du terrain et un esprit d’ouverture vers l’étranger. Ces qualités doivent être mises à profit en étant à son écoute pour s’imbiber des réalités locales, profiter de ses conseils et éclairages. Pour la faire aussi participer, concomitamment à la reconstruction en tant que main d’œuvre rétribuée, à promouvoir l’installation et/ou le développement d’activités économiques nouvelles ou anciennes.
Le tout en tenant pour acquis que la plupart des activités à créer/développer doivent viser prioritairement, pour ne pas dire naturellement, au vu de la topographie du terrain, la valorisation des ressources des territoires: reboisement, agriculture, agroalimentaire, élevage, tourisme de montagne dans ses multiples variantes, artisanat et commerce. Les crédits du type Forsa et la création de TPE doivent tourner à plein régime avec un objectif: tout produit ou service doit être valorisé. La forme d’organisation en TPE est la planche de salut de l’économie de montagne et sa voie la plus rapide vers la modernisation et le développement économique. Avec toutefois un autre préalable là aussi, celui de la poursuite du désenclavement des espaces et l’ouverture numérique, devenus essentiels pour assurer l’attractivité des territoires ruraux de montagne.
En procédant à la reconstruction en accord avec la culture et les identités locales, en revivifiant les édifices patrimoniaux (la mosquée de Tinmel est à considérer comme priorité et symbole), en faisant participer la population à travers ses élus ou autres formes de représentation, en développant une économie moderne, on fera en sorte que le séisme d’Al Haouz soit unique… dans son après. Son modèle de reconstruction pourrait ainsi être dupliqué dans les autres zones de montagne non concernées par le plan.
Les avancées de la discipline historique au Maroc permettent de porter un regard averti sur son passé et des mises en perspective raisonnables. Ce qui se passe au Maroc est d’un intérêt majeur pour les générations futures. Y a-t-il de l’empressement de la part de votre serviteur à inclure le plan de reconstruction proposé parmi les projets de règne à l’instar du développement de la côte méditerranéenne ou de nos provinces sahraouies? Il en a les qualités, au vu de l’inclusion de la montagne dans l’espace de modernité (première historique) et au vu de la population concernée (11% de la population globale).