Dans un selfie, il jubile. Manifestement très content du «joli coup» qu’il vient de réaliser, il immortalise le moment avec son équipe. Au premier plan, lui, tendant un smartphone, en arrière-plan, le reste de son équipe affiche un sourire de circonstance. Laurent Richard peut faire un selfie et même être reconnaissant envers son smartphone. Grâce à cet appareil, il vient de réaliser son premier coup d’éclat qui hisse une obscure organisation, âgée d’à peine cinq ans, dans le cercle limité des lanceurs d’alertes, capables de mobiliser un groupement de médias parmi les plus prestigieux au monde. Et voici à peine quatre ans, personne ne connaissait l’organisation Forbidden stories (histoires interdites), fondée en 2015 par ce même Laurent Richard.
Doté d’un esprit très marketeur, aux antipodes de la discrétion des personnes qui mènent des investigations, Laurent Richard aime se vendre. Il a construit une histoire très émouvante pour expliquer les raisons qui l’ont poussé à créer cette organisation. Sur le site de son organisation, il commence par écrire: «Forbidden Stories a été créée par le journaliste et réalisateur multi-récompensé Laurent Richard». Toute personne rompue aux techniques de l’investigation, ne peut que s’étonner de cette façon d’étaler un palmarès, alors qu’il est question de sujets supposés être à mille lieues des feux des projecteurs et des parades. En quoi consistent les multiples prix dont se vante Laurent Richard? En peu de choses, au final. Il a officié dans une société de production, «Premières lignes télévision», et a été co-fondateur de l’émission-phare de cette boîte: «Cash investigation», diffusée sur France 2, et qui a reçu quelques prix. Il n’y a pas là de quoi en faire l’équivalent du Pulitzer, et Laurent Richard n’a reçu aucun prix en son nom. Mais il sait se vendre, un peu trop même, et ne semble pas du tout craindre de grossir le trait.
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Donc, Laurent Richard a construit une histoire très touchante pour expliquer les raisons qui l’ont poussé à fonder Forbidden stories. Ecoutons-le dans le texte: «un jour de 2015, alors qu’il arrive au travail, à Paris, il trouve ses confrères de Charlie Hebdo assassinés par des terroristes dans les bureaux voisins. Cette expérience le convainc de la nécessité d’une réponse journalistique aux crimes commis contre la presse».
Précision: Laurent Richard ne travaillait pas à Charlie Hebdo. Et il est même peu probable que ses échanges avec les dessinateurs et journalistes de cet hebdomadaire ne dépassaient pas le simple «bonjour», quand ils se croisaient à l’entrée de l’immeuble. Car la boîte de production où travaillait Laurent Richard, se trouvait dans le même immeuble où la rédaction de Charlie Hebdo a été décimée dans une attaque terroriste en 2015. D’ailleurs, on a davantage entendu parler de «Premières lignes télévision», en 2020, que lors des précieux prix mis en avant par Laurent Richard. En effet, en septembre 2020, deux employés de cette société de production ont été blessés dans une attaque à l’arme blanche, à Paris, par un jeune Pakistanais, qui pensait s’attaquer à des dessinateurs de Charlie Hebdo.
Laurent Richard et le MarocLaurent Richard et le Maroc, c’est une longue histoire. Peu de temps avant qu’il ne soit frappé par la révélation qui allait changer sa vie, à l’occasion de l’attaque de Charlie Hebdo, Laurent Richard a supervisé la réalisation d’un documentaire à charge contre le Royaume. Les lecteurs se souviennent peut-être encore de Pierre Chautard et de Jean-Louis Perez, entrés clandestinement en 2015 au Maroc, en se présentant respectivement comme décorateur et réalisateur de publicité, en vue de faire un reportage pour le compte de la chaîne France 3.
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Intitulé «Roi du Maroc: le secret d’un règne», le reportage a été diffusé en octobre 2016 sur France 3. Les noms des personnes qui s’y expriment donnent un aperçu du parti pris de ses commanditaires: Moulay Hicham, Aboubakr Jamaï, Ahmed Reda Benchemsi, Ali Lmrabet, Fouad Abdelmoumni, et les militaires défroqués Mustapha Adib et Abderrahim El Mernissi, entre autres.
A l’époque le journaliste Jean-Louis Perez s’était plaint dans plusieurs médias français de cette expulsion, parce qu’il n’avait pas finalisé un travail qui avait nécessité un investissement de 60 000 euros. Un montant insignifiant comparativement aux sommes en jeu depuis que Laurent Richard a eu la révélation et a fondé Forbidden stories.
«Ils ont tué le messager. Ils ne tueront pas le message». C’est ainsi qu’est annoncée la bonne nouvelle dans une proclamation de foi, signée de Laurent Richard, sur le site de Forbidden stories. A côté de cette phrase mystique, une icône, tout en majuscules, sur un fond rouge: «faites un don».
Laurent Richard sait devenir exalté, pour porter la bonne parole en vue de récolter des fonds. Son organisation bénéficie de plusieurs subventions, à l’instar de celle reçue de «l’Open society foundation» du milliardaire américain d’origine hongroise George Soros. Ce dernier mène une guerre ouverte –et sans merci– contre Victor Orban, le Premier ministre nationaliste hongrois. Est-ce un hasard que le seul pays européen, ciblé par Forbidden stories dans l’affaire Pegasus, soit la Hongrie? Ce généreux bailleur de fonds qu’est George Soros n’a-t-il pas pesé dans le ciblage de ce pays d’Europe centrale?
La fondation de George Soros n’est pas la seule à donner de l’argent à l’organisation de Laurent Richard. «Luminate building stronger societies», une organisation philanthropique appartenant à l’Irano-américain Pierre Omidyar (le fondateur de la plateforme du commerce électronique «ebay»), l’association néerlandaise de radiodiffusion «Vereniging Veronica», ainsi que le fonds «Investigative journalism for Europe», dédié à la promotion du journalisme d’investigation et cofinancé par la Commission européenne, accordent eux aussi des subventions à Laurent Richard.
Et le meilleur est à venir. Laurent Richard a eu des promesses de fondations pour injecter des millions de dollars dans son organisation. De quoi lui donner des ailes et développer davantage ses affaires.
Family BusinessQuand il a été touché par la «révélation», Laurent Richard l’a partagée avec ses proches. D’abord, et évidemment, avec sa femme, la journaliste Sandrine Rigaud, à laquelle il a confié la rédaction en chef de Forbidden stories, que lui-même dirige. Ensuite avec ses anciens collaborateurs dans la société de production «Premières lignes télévision», où il a débauché pas moins de sept journalistes. Les affaires étant florissantes, Laurent Richard ne fait même plus attention aux nombreux écarts de sa voie initiale.
Il s’est détourné de sa première vocation: poursuivre les enquêtes inachevées de journalistes qui ont été empêchés de les aboutir, parce qu’ils ont été assassinés dans des conditions suspectes. Les smartphones, c’est plus vendeur et l’espionnage high tech a le vent en poupe. C’est en 2020 que Laurent Richard s’est fait les dents avec le «cas» de Omar Radi, dont le portable aurait été infecté par Pegasus. A cette occasion, Laurent Richard a pu constater combien le sujet était porteur, et combien le Royaume du Maroc était «vendeur». Avec un seul smartphone, il a réussi, avec l’aide d’Amnesty international, à rassembler un consortium de plusieurs médias de renom.
Une année plus tard, il fait un retour fracassant sur le devant de la scène, avec 50 000 smartphones, dont 10 000 sont attribués au Maroc. Sur les 10 000 smartphones espionnés par le Maroc, 1000 portent des numéros avec l’indicatif +33. Curieusement, les services de renseignements marocains, qui auraient ratissé extrêmement large, allant jusqu’à espionner des personnes insignifiantes, ne présentant aucun lien avec le Maroc, ont épargné le smartphone de Laurent Richard, alors qu’il a, à deux reprises, fait montre d’hostilité envers le Royaume: dans le reportage diffusé en 2016 sur France 3, et dans l’affaire de l’espionnage du portable de Omar Radi, portée par Forbidden stories.
Nos services de renseignements ne connaissent visiblement pas le sens des priorités. Ils préfèrent espionner l’iPhone d’Edwy Plenel, qui est très heureux de trouver dans cette affaire du grain à moudre pour son média aux abois, depuis que les ministres français s’abstiennent de manger du homard et ne sortent plus de leur cave un vin dont le prix pourrait donner l’occasion à la rédaction de Mediapart d’organiser d’interminables conciliabules.
Seule explication plausible à ce grave manquement aux priorités par les services marocains: le smartphone de Laurent Richard est également touché par la grâce.
Enivré par le «succès» de l’affaire Pegasus, Laurent Richard affirme dans une newsletter adressée aux abonnés de Forbidden stories: «le Projet Pegasus a suscité de vives réactions. Amazon a coupé l’accès de NSO à ses serveurs. Des manifestations ont secoué l’Inde. En France, en Hongrie et en Algérie, des enquêtes judiciaires ont été ouvertes».
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Laurent Richard exulte tellement qu’il en arrive à faire la genèse de cette épopée: «tout a débuté avec une liste de plus de 50 000 numéros de téléphone, à laquelle Forbidden Stories et le Security Lab d'Amnesty International ont eu accès. L'objectif ? Mettre des visages, et des histoires, derrière les chiffres». Acculé à apporter les preuves de ses accusations contre le Maroc, c’est le journal Le Monde qui contredit l’épopée décrite par Laurent Richard. Dans un article, dont les arguments sont très légers, Le Monde n’en livre pas moins une information essentielle, qui était jusqu’ici tue.
«Les plus de 50 000 numéros de téléphones sélectionnés par des clients de Pegasus en vue d’un éventuel piratage sont parvenus à l’organisation Forbidden Stories et Amnesty International sous la forme de “clusters“: un par client du logiciel espion», affirme Le Monde. Ce qui veut dire que Forbidden stories et Amnesty international ont refourgué au consortium de médias onze sacs, chacun portant le drapeau et le nom d’un pays. A l’intérieur du sac estampillé Maroc, il y avait 10 000 numéros. Ce ne sont donc pas les journalistes qui ont mené des investigations pour isoler dans le lot de 50 000 numéros les 10 000 qui concerneraient le Maroc. Mais ils les ont reçus, préalablement emballés, et prêts à l’usage.
Peu importe, au final, toutes les zones d’ombre qui pèsent sur ce dossier. Laurent Richard et son épouse peuvent se frotter les mains: avec ce scandale, leur petit business familial ne pourra qu’être florissant.