Maroc 2035: l’ambition stratégique face au test de l’exécution

Un pont à haubans, réalisation infrastructurelle.. Mehdi-Le360

Revue de presseLe Maroc affiche une vision économique claire et affirmée, portée par des infrastructures modernes, une industrie en expansion et une diplomatie africaine structurée. Mais dans une note stratégique publiée par l’Institut Choiseul, la chercheuse Yasmina Asrarguis alerte: seule une montée en puissance de la capacité d’exécution du gouvernement permettra de transformer ces ambitions en résultats mesurables. Cet article est une revue de presse tirée de Jeune Afrique.

Le 19/11/2025 à 18h50

À moins d’un an d’élections législatives qui pourraient influencer durablement la trajectoire du Maroc, la question de la capacité du gouvernement à concrétiser ses ambitions revient au centre du débat. C’est dans ce moment politique charnière que Yasmina Asrarguis, chercheuse associée à l’Université de Princeton, publie pour l’Institut Choiseul une note stratégique consacrée au Royaume à l’horizon 2035. Son rapport s’articule autour d’une interrogation majeure: le Maroc saura-t-il transformer son ambition stratégique en capacité réelle d’exécution?

Dans sa note, la chercheuse décrit un pays sûr de ses forces, engagé dans une trajectoire de transformation rapide, parfois plus rapide que l’évolution des structures censées l’accompagner. Une lecture optimiste qu’elle revendique dans un entretien accordé au magazine Jeune Afrique comme un «instantané analytique d’un pays en transition d’échelle». Reste à savoir si les prochaines années confirmeront cette dynamique.

Interrogée sur le décalage apparent entre l’ambition économique et la stagnation du paysage politique, elle souligne que «le Maroc avance avec une assurance singulière: il dispose d’infrastructures de rang international, d’un appareil industriel en expansion et d’une projection géoéconomique assumée». Si elle reconnaît que «les médiations partisanes peinent encore à suivre le rythme», elle estime que cette situation n’est pas synonyme de blocage mais s’apparente à «une phase de transition typique des États qui changent d’échelle». Selon elle, la stabilité de la vision stratégique, impulsée au sommet de l’État, constitue le socle de cette dynamique.

Pour autant, cette vision ne gomme pas les limites d’exécution, relève Jeune Afrique. «Le Maroc fait partie de ces États où la vision devance l’administration», explique Asrarguis, pointant les inerties administratives et les retards de chantiers comme obstacles majeurs. «Le défi de la prochaine décennie est de renforcer les capacités du dernier kilomètre administratif», insiste-t-elle, évoquant la nécessité de professionnaliser les services déconcentrés et de sécuriser l’exécution budgétaire.

Sur le plan économique, si le pays bénéficie d’un appareil industriel structuré autour de l’automobile et d’investissements directs étrangers représentant près de 50% du PIB, ces avancées se heurtent à des contraintes lourdes: stress hydrique durable, agriculture en repli, secteur informel massif et disparités territoriales marquées. «Ces contraintes n’annulent pas l’ambition, mais elles en fixent le prix», avertit la chercheuse, rappelant que les nations qui progressent sont celles qui transforment leurs vulnérabilités en leviers de réforme.

La projection africaine du Maroc constitue un autre pilier de cette stratégie, poursuit Jeune Afrique. Une orientation logique selon Asrarguis, qui rappelle que «la vocation africaine du Maroc s’inscrit dans une longue histoire». Mais elle souligne également que le royaume n’ignore pas la fragilité du continent. «La présence marocaine ne repose pas sur une lecture naïve. Rabat a intégré la volatilité structurelle de l’Afrique comme une donnée constitutive du jeu africain», analyse-t-elle.

Reste un défi central: le capital humain. Le pays peine encore à former les compétences nécessaires à son ambition industrielle et géoéconomique. «Aucune puissance durable ne se construit sans capital humain solide», rappelle Asrarguis, citant des indicateurs préoccupants comme les taux élevés d’analphabétisme rural ou le nombre important de jeunes sans formation ni emploi. Si elle reconnaît les premiers efforts engagés, notamment en matière de formation professionnelle, elle insiste: «La puissance-pivot ne pourra devenir réalité que si ce capital humain devient la première richesse du pays».

Invitée à envisager les obstacles qui pourraient freiner l’horizon 2035, elle résume le risque majeur en une formule. «L’écart croissant entre les ambitions du pays et la capacité réelle à les mettre en œuvre». Selon elle, éviter ce scénario suppose de renforcer «le cœur opératoire», c’est-à-dire la capacité à transformer les plans en résultats tangibles. «La puissance ne réside pas seulement dans la vision, mais dans la constance quotidienne de son exécution», conclut-elle.

Pour nourrir son analyse, la chercheuse mobilise une méthodologie hybride mêlant étude des politiques publiques, données institutionnelles issues notamment du Haut-Commissariat au Plan, de la Banque mondiale et de l’OCDE, ainsi qu’une enquête de terrain menée dans plusieurs régions. Cette approche lui permet de replacer les tendances macroéconomiques dans leur matérialité, qu’il s’agisse du stress hydrique persistant, du ralentissement agricole lié à la sécheresse, de l’essor de l’industrie automobile ou encore de la montée des investissements étrangers.

Encore méconnue du grand public, Yasmina Asrarguis a bâti son expertise à la croisée de la diplomatie et de la recherche. Après un passage auprès de l’ex-directrice générale de l’Unesco Audrey Azoulay, au sein de l’unité diplomatique d’Emmanuel Macron puis au Bureau du Secrétaire général de l’ONU à New York, elle rejoint Princeton où elle mène des recherches doctorales sur les dynamiques de paix au Moyen-Orient et sur le rôle du Maroc dans les recompositions régionales nées des accords d’Abraham.

Par La Rédaction
Le 19/11/2025 à 18h50