Saâd-Eddine El Othmani est actuellement la cible d’invectives de la part de ses propres «frères» du PJD et des partis adverses, écrit le quotidien Al Ahdath Al Maghribia dans sa livraison du week-end des 19 et 20 mai. Cependant, loin de se montrer affecté, il fait face à la situation avec maitrise de soi et beaucoup de retenue. Ce qui l’empêche, par contre, d’avancer, c’est l’héritage laissé par son prédécesseur, note le journal. La hausse des prix du carburant, le dialogue social, les contestations populaires, la dissociation de la formation du recrutement et la caisse de compensation sont, en effet, autant de mines semées partout par Benkirane qui explosent aujourd’hui sous les pieds de son successeur.
On a pu le suivre durant le mandat de l’ancien gouvernement, le dossier des enseignants contractuels a failli faire éclater la majorité. Toutefois, les multiples manifestations, soutenues par les syndicats, n’ont pas incité le chef du gouvernement à faire des concessions, rappelle le journal. Benkirane et son parti ont même pris à parti le ministre des Finances, et à travers lui le RNI, pour avoir suggéré, dans une lettre-réponse au PAM et à l’USFP, qu’il existe une solution pour désamorcer cette crise. Le problème n’est pas pour autant résolu, El Othmani a donc hérité d’une bombe sociale qui ne cesse de prendre de l’ampleur.
En outre, à peine nommé, El Othmani s’est retrouvé à devoir gérer le dossier brûlant des manifestations du Rif. Des mécontentements sociaux ont également éclaté dans d’autres régions, comme Zagora. Pour y répondre, El Othmani devait faire vite et surtout proposer des mesures concrètes pour limiter les dégâts. Cela n’a, toutefois, pas mis son gouvernement à l’abri d’un séisme politique qui a emporté plusieurs ministres qui officiaient également dans l’équipe Benkirane. Le gouvernement El Othmani en est sorti indemne, mais cela n’a pas donné assez de temps au Premier ministre pour mettre en œuvre sa fameuse maxime, «l’écoute et les réalisations». Pis encore, depuis, l’Exécutif est hanté par le risque d’un nouveau séisme.
Autre dossier problématique légué par l’ancien gouvernement, la décompensation du carburant et la libéralisation des prix à la pompe. C’est une décision que Benkirane a prise sans trop se soucier de ses conséquences sociales, explique le journal, citant sa fameuse réplique à ce sujet : «Ce qui m’intéresse, c’est que l’Etat soit fort. La réaction de la population aux hausses des prix n’a pas d’importance». Cette déclaration avait alors suscité un tollé dans le milieu associatif et sur les réseaux sociaux. Une décision dont El Othmani est en train de payer les conséquences. Al Ahdath Al maghribia parle également de tensions sociales que Benkirane «affrontait» en se cloitrant chez lui, attendant que les problèmes se résolvent d’eux-mêmes.
Et même lorsque les syndicats ont réclamé la reprise du dialogue social, Benkirane a tout fait pour envenimer ses relations avec ces derniers. Il a fallu attendre l’avènement du gouvernement El Othmani pour que les deux parties, ainsi que la CGEM, reprennent à nouveau contact. Certes, reconnaît le journal, il n’y a pas eu d’accord le 1er mai, mais le gouvernement garde la porte ouverte pour la reprise des pourparlers avec ses deux partenaires sociaux, ajoute Al Ahdath Al Maghribia. En attendant, El Othmani a déjà réussi à rétablir la confiance entre le gouvernement et les syndicats. Ce qui n’est pas peu.
Cela étant, El Othmani doit également faire face aux conséquences d’autres décisions de Benkirane qui ont érodé le pouvoir d’achat des citoyens et particulièrement de la classe moyenne. Le journal cite en ce sens la réforme du régime de retraite des fonctionnaires et l’opération de sauvetage de l’ONE (devenu plus tard ONEE) qui s’est traduite par une flambée des factures d’électricité et l’augmentation des prix des produits de grande consommation.
Pendant ce temps, la mise en œuvre de la Constitution, qui devait s’achever avant la fin du mandat du gouvernement Benkirane, est restée en rade. Les institutions constitutionnelles censées donner corps aux réformes engagées par le gouvernement précédent sont soit gelées soit pas encore instituées. Cela a eu pour conséquence des perturbations d’ordre politique et économique aux effets néfastes sur des domaines vitaux et stratégiques.
En somme, El Othmani a dû faire face à une situation explosive héritée de son prédécesseur, avec son pragmatisme et son flegme, tout en essayant de mettre en œuvre son propre programme gouvernemental. Mais même en ayant été écarté de la scène politique, Benkirane a trouvé le moyen de compliquer la tâche de son successeur, en s’en prenant à ses alliés de la majorité, au risque de faire éclater la coalition gouvernementale.