Le Monde à l’envers

Mouna Hachim.

ChroniqueJournal de référence? Le Monde n’est plus qu’un miroir convexe. Il ne décrit pas le Maroc, il fabrique son propre spectacle.

Le 30/08/2025 à 11h03

Imaginons un monde renversé: les faits se caricaturent, la logique se tord, la frontière se brouille entre réalité et fiction.

La littérature et le théâtre ont longtemps exploré ce procédé. Chez Lewis Carroll (dans De l’autre côté du miroir) ou chez Pirandello (avec ses Six personnages en quête d’auteur), il devient jeu d’illusion, récit en abyme où la fiction se reflète elle-même.

Mais lorsqu’un quotidien, censé informer, s’y adonne, l’écart est abyssal. Ce n’est plus un jeu: c’est une tromperie. L’abîme n’est plus esthétique: il devient éthique.

Au lieu d’éclairer, le journal cabotine. L’enquête prend la forme d’un miroir convexe où défilent clichés orientalistes et colportage de cancans.

La fécondité créatrice de la fiction se mue en stérilité journalistique, incapable de produire autre chose que des reflets biaisés orientés vers le sensationnel. Le journal ne décrit pas le Royaume: il monte son propre spectacle.

Premier acte: 24 août. Titre: "Au Maroc, une atmosphère de fin de règne pour Mohammed VI". Rien que ça! Ressassement des vieilles antiennes: la santé du roi comme fil narratif, les intrigues de palais en toile de fond, la transition dynastique comme leitmotiv.

Rien n’échappe au prisme déformant: chaque fait, même positif, est méthodiquement retourné contre son sujet. Ce qui pourrait illustrer une continuité dynastique est réduit à une "mise en scène". Ce qui atteste d’une activité protocolaire est relégué à de la "communication". Ce qui marque un retour en action est travesti en artifice.

Le décor est planté. La lumière bannie. Il ne reste qu’une noirceur projetée par leurs propres démons.

Deuxième acte: 25 août. Et rebelote: "Mohammed VI, une jeunesse à l’ombre de Hassan II". Antithèses à la truelle, soupçon à la pelle, va-et-vient entre interprétations spéculatives et faits observables... Le tout nappé d’une psychologie de comptoir et de potins racoleurs, plus proches des kiosques à ragots que d’une rédaction respectable.

Le troisième acte ne tarde pas: "Un roi aux réformes inachevées". Oui, quelques réformes sont mentionnées mais très peu d’évocation de mégaprojets d’infrastructure et sous-évaluation totale des acquis structurels. Curieusement, pas un mot sur Tanger Med, premier port d’Afrique, ni sur Noor Ouarzazate, plus grande centrale solaire du monde.

Bien sûr, tout n’est pas parfait, nous l’écrivons en interne sans avoir besoin de regards malveillants. Certaines réformes demeurent incomplètes ou perfectibles. Les réduire systématiquement par un “mais” assassin, les ramener toujours à une faille: c’est une mécanique de discrédit, aussi prévisible qu’un mauvais feuilleton.

Et d’ailleurs, c’en est un! Une stratégie feuilletonesque en six épisodes, façon Game of Thrones exotique pour lecteurs parisiens.

Quatrième acte, 27 août: "Mohammed VI, roi des grandes manœuvres diplomatiques". Cet épisode confirme le stratagème: sous prétexte de décrypter la diplomatie marocaine, chaque avancée est aussitôt réduite à du chantage, du storytelling officiel ou de l’opportunisme.

La seule concession —accordée du bout des lèvres— est la reconnaissance que le Maroc a su transformer son poids régional et s’imposer comme un acteur incontournable. Mais aussitôt, cet aveu est relativisé, renvoyé à la propagande ou à la rivalité avec le voisin de l’Est.

La mascarade se poursuit...

Informer ou décrypter n’est plus l’affaire du journal, qui a endossé le costume bariolé d’Arlequin.

Dans cette construction narrative, le cycle est verrouillé d’avance: aucun espace n’est laissé à d’autres regards —stabilité régionale, attachement populaire, perception interne. Les voix retenues sont toujours celles de "diplomates occidentaux" ou de "fins connaisseurs", pendant que les Marocains restent hors-champ.

Au royaume de Le Monde, le peuple est réduit au silence: reflet sans voix, miroir sans profondeur.

Ce mutisme imposé aux uns contraste avec la complaisance servile accordée à d’autres.

Ce qui frappe surtout, c’est l’asymétrie: le Maroc est disséqué avec suspicion, l’Algérie polie jusqu’à l’invisibilité. Pas un mot sur les purges militaires, le verrouillage politique, l’économie exsangue, les arrestations arbitraires... Et pourtant, ces derniers mois, l’actualité brûlante des relations entre Alger et Paris aurait pu nourrir des enquêtes fouillées au lieu de cette indulgence déconcertante.

Encore plus, et comme par hasard, entre deux réquisitoires contre le Maroc, le quotidien publie une tribune vibrante, signée par le recteur de la Grande Mosquée de Paris et le cardinal d’Alger. Un texte soyeux, célébrant l’amitié retrouvée.

Un timing impeccable: fragiliser Rabat pour mieux cajoler Alger.

Un choix éditorial qui ressemble fort à un deal médiatico-politique. Certaines voix, à Paris comme à Alger, cherchent à renouer le fil? Le quotidien ajuste sa focale et joue sa partition.

On nous aurait donc menti sur le rôle d’un grand quotidien? Est-il là pour informer, ou pour accompagner les manœuvres des chancelleries, voire d’obscures officines? Lorsqu’un organe de presse travestit sa mission et se met au service d’influences étrangères, peut-on encore parler de média indépendant, ou faut-il le voir pour ce qu’il est devenu: un acteur masqué sur la scène géopolitique ?

Que cela plaise ou non, la monarchie marocaine est une institution solide, qui a traversé les tempêtes au fil des siècles. Ce socle historique et politique, certaines plumes parisiennes s’acharnent à l’ignorer, passant sous silence l’attachement viscéral des Marocains à leurs institutions et à leur roi. Un lien organique, tissé par l’histoire, renforcé par l’épreuve —qu’aucune caricature projetée de l’extérieur n’ébranlera.

Qui nous empêcherait d’écrire, nous aussi, sans même caricaturer, sur leurs fractures sociales et leurs crises récurrentes? Nul doute qu’ils crieraient aussitôt à l’ingérence et au scandale. Nous partons, quant à nous, du principe que chacun balaie devant sa porte, tandis que certaines plumes persistent, avec condescendance, à nous disséquer comme des spécimens étranges. Et, pour amuser la galerie, à fabriquer une dramaturgie folklorisante où le Maroc devient le punching-ball éditorial.

Mais à force de distribuer des rôles et de fabriquer des fables, le journal s’enferme dans sa propre pièce.

Le rideau tombe.

Tandis que le Maroc avance, solide dans ses fondements, c’est le journal, prisonnier de ses masques et de ses manies, qui glisse vers sa "fin de règne”.

À force de chercher la tragédie au Maroc, Le Monde n’en a écrit qu’une seule: la sienne.

Par Mouna Hachim
Le 30/08/2025 à 11h03