A-t-on voulu gâcher la fête du Chef du Gouvernement en l’empêchant de recueillir les dividendes politiques des «avancées» de son équipe dans le domaine de la répartition des richesses opérées sous forme d’augmentation des bas salaires et de la construction de l’État social? Au vu de sa surréaction à la sortie du Président du Conseil économique, social et environnemental sur les NEEET, acronyme anglais pour désigner ceux qui n’ont ni éducation, ni emploi, ni formation, et aux critiques des parlementaires de l’opposition, la question mérite, d’après lui, d’être posée. Au président du CESE, il reproche non pas un alignement sur l’opposition -cela serait trop, mais un manque de savoir-faire politique et communicationnel, et aux parlementaires de l’opposition de charrier un état d’esprit revanchard ou aigri dont les causes sont connues.
Une fois n’est pas coutume, nous serions tentés, sans le justifier politiquement, de comprendre le mouvement d’humeur du Chef du Gouvernement. Il est motivé par une certaine lassitude de la propension, chère à nos élites marocaines, de se satisfaire d’établir d’excellents diagnostics sans proposer de solutions. Constat sur ces élites, rappelons-le, partagé depuis longtemps par la Banque mondiale et plusieurs autres institutions internationales.
Les difficultés du Chef du gouvernement viennent du fait qu’il ne dispose ni d’une équipe gouvernementale imaginative ni d’une administration aguerrie capables d’établir des stratégies avec leurs plans d’action et les porter à terme. D’où son irritabilité, déjà présente pour ceux qui le connaissent depuis longtemps et qui s’est accentuée face à la faiblesse des résultats dans plusieurs domaines.
Il serait injuste de faire le reproche au Chef du gouvernement de déni des réalités dans son évaluation des résultats de mi-mandat. Son parcours entrepreneurial ne l’autorise pas. Il a seulement voulu voir la partie pleine du verre.
Une première difficulté, qu’il est malaisé d’ignorer, réside dans l’imprudence à distribuer une richesse non encore produite ou que nous sommes incapables de produire dans la situation actuelle. Les augmentations de salaire dans le public et le privé, bien que tout à fait justifiées humainement, le sont beaucoup moins au vu des taux de croissance réalisés et de la faible productivité de nos entreprises. Quelle est la limite du supportable pour notre économie? La question est posée.
Que l’on nous permette de poursuivre, à titre de rappel, dans l’exercice de sérier les chantiers auxquels il faudrait s’attaquer dans la deuxième partie du mandat de ce gouvernement.
Le premier poste des importations du Maroc est constitué par les énergies, autour de 120 milliards de dirhams, moyenne avec des pics à 150 milliards, soit presque 10% de la richesse produite par le Maroc. Une partie importante de cette matière première est utilisée pour produire de l’électricité. Or, sur 100 kW d’électricité produite, 22 se perdent dans le transport (réseau vétuste) -en France la perte est de 2-, 18 à 20 se perdent dans les ménages et les entreprises, à défaut d’audits systématiques et de matériel adapté.
Sans grand risque de se tromper, on peut avancer que le pays ne profite pas du tiers de l’électricité produite. Pis, le réseau actuel est inadapté pour l’installation de toute centrale nucléaire, capitale pour notre souveraineté énergétique future. Allons-nous persévérer à botter en touche dans ce secteur?
Il y a déjà plusieurs années que les experts marocains, sans aller chercher les internationaux, ont prédit l’arrivée imminente d’un long cycle de sécheresse qui allait impacter notre agriculture, ses méthodes et les cultures, et nous obligera à revoir nos calculs quant à la capacité de ce secteur à faire travailler le bon tiers de la population. Bon tiers qui ne produit pas beaucoup, seulement 12% de la richesse nationale (PIB agricole moyen). Les chiffres du chômage actuel, fortement impactés par la sécheresse, ne sont pas de nature à surprendre notre ex-ministre de l’Agriculture.
Sans conteste, les meilleures avancées ont été réalisées dans l’industrie ces dernières années. Toutefois, tous les observateurs pointent certaines fragilités. Une concentration trop importante dans le secteur automobile, détenu par le capital étranger, et donc comportant un risque de volatilité, pour ne se limiter qu’à cela. Citons aussi notre incapacité à profiter des retombées culturelles et économiques du développement du secteur automobile, pour initier une industrialisation du pays caractérisée par l’implication du capital privé national et la diversification pour arriver à terme à un noircissement de la matrice interindustrielle. Notre industrie est peu diversifiée et ne produit pas suffisamment de valeur ajoutée.
Les secteurs de l’urbanisme, de l’habitat et du tourisme, grands pourvoyeurs de main-d’œuvre, peinent à exprimer leurs potentialités. Pourtant, le programme du RNI, convenablement rédigé, avait misé sur ces secteurs pour résorber l’excès en main-d’œuvre.
Le secteur financier constitue une fierté. Il s’est construit aux dépens de nos entreprises la plupart du temps, c’est connu. Maintenant qu’il se développe en Afrique, pourquoi n’entraîne-t-il pas avec lui les entreprises marocaines? Cela ne serait qu’un juste renvoi d’ascenseur.
Le Maroc a décidé de rattraper son retard dans le domaine social et combler un déficit qui devenait inquiétant, excellente résolution qui ne peut que contribuer à un surcroît de stabilité. C’est une résolution qui vaut son pesant d’or. À tout point de vue. Il faut lui chercher le financement.
Sommes-nous tombés dans le travers de tout bon Marocain, au risque de provoquer l’ire du Chef du Gouvernement en extériorisant, encore une fois, un certain nombre de constats, sans donner de solutions?
Le début de solution des problèmes, telle est la conviction de votre serviteur, consiste à essayer de poser les bonnes questions. En faisant appel au sens des responsabilités de tout citoyen.
Cela doit se faire dans la sérénité, sans nervosité, armé de la conviction que notre pays finira par vaincre les difficultés au bénéfice de tous.