Ce n’est pas l’islamisme, mais le réveil de l’irrédentisme touareg qui est à l’origine de l’actuelle guerre du Sahel. Or, les observateurs ont confondu les causes et les effets, comme je vais tenter de l’expliquer.
Les Touareg, ou Imazighen, sont des Berbères nomades. Relativement homogène dans le Nord, notamment en Algérie et en Libye, le peuplement touareg s’est peu à peu dilué parmi la population des agriculteurs noirs ou des nomades peul de la région sahélienne.
Dans les années qui précédèrent l’indépendance, les chefs touareg, réunis à Kidal, dans l’actuel Mali, demandèrent en vain à la France de ne pas les rattacher aux futurs États sahéliens qui allaient être ethno-mathématiquement dirigés par les Noirs sudistes. Ceux des Touareg qui furent rattachés au Mali et au Niger se soulevèrent dès les premières années de l’indépendance.
La première rébellion touareg éclata ainsi en 1962-1963 dans l’Adrar des Iforas au Mali. Elle s’éteignit à la suite d’une impitoyable répression menée par le régime du président Modibo Keita, mais également en raison de la sécheresse des années 1970, qui poussa les Touareg vers les camps de réfugiés installés en Libye et en Algérie. Les hostilités ne cessèrent jamais tout à fait et les Touareg furent à l’époque sensibles au projet porté par le colonel Kadhafi de création d’un «État» saharien.
En 1988 fut fondé le Mouvement populaire de libération de l’Azawad (MPLA) qui déclencha une insurrection deux ans plus tard, en 1990, et qui eut quelques prolongements au Niger.
Au début de l’année 2006 éclata une nouvelle guerre, mais, dès le mois de juillet 2006, furent signés les accords d’Alger qui y mirent un terme. Cependant, le conflit reprit en 2010-2011.
Tout changea avec la guerre touareg qui éclata le 17 janvier 2012 dans le nord du Mali. Cette dernière n’était pas la simple résurgence d’un conflit latent, mais bien une nouvelle forme de revendication. Lors des précédentes guerres, les Touareg s’étaient battus pour obtenir plus de justice de la part de l’État malien dirigé par les sudistes. Au mois de janvier 2012, ils exigeaient tout autre chose, à savoir la partition du Mali et la création d’un État touareg, l’Azawad. À la différence des précédents mouvements qui visaient à une plus grande intégration des Touareg au sein de la société malienne, les insurgés de 2012 ne revendiquaient plus le développement, mais l’autodétermination et l’indépendance. Ils ne parlaient plus de rébellion, mais de «mouvement révolutionnaire» destiné à «libérer le peuple de l’Azawad de l’occupation malienne».
Le chef opérationnel du mouvement, Ag Mohammed Najem, était membre de la tribu des Iforas. Colonel de l’armée libyenne, il avait quitté la Libye avec armes et bagages quelques jours avant le lynchage du colonel Kadhafi. Or, pour des raisons classiques et plus qu’habituelles de rivalité entre sous-clans touareg, Iyad Ag Ghali, lui-même ifora et chef des précédents soulèvements, avait été tenu à l’écart de la fondation du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). N’acceptant pas cette éviction, il créa alors un mouvement rival dont les buts ethno-nationaux étaient les mêmes que ceux du MNLA, mais, afin de pouvoir exister, il le déclara islamiste et fédéraliste, c’est-à-dire non séparatiste.
Début janvier 2013, Iyad Ag Ghali doubla le MNLA en lançant une offensive vers le sud, en direction de Mopti puis de Bamako. Le régime sudiste de Bamako fut alors sauvé d’une défaite annoncée par l’intervention française et par l’opération Serval suivie de l’opération Barkhane.
Or, avec le départ du Mali des forces françaises et de celles de l’ONU, le vrai problème est réapparu au grand jour, à savoir que, dans le nord du Mali, ce n’est pas l’islamisme, mais l’irrédentisme touareg qui anime les affrontements. Au sud, dans la région des Trois frontières (Mali, Niger et Burkina Faso), la situation est différente, car s’y superposent, ou s’emboîtent, islamisme et problème peul.