Inondations au Sahel et au Sahara, un phénomène cyclique

Bernard Lugan.

ChroniqueLe Sahel et le Sahara viennent de connaître et même de subir un très fort épisode pluvieux accompagné d’inondations. Les médias ont semblé découvrir le phénomène, alors qu’il s’agit d’un épisode cyclique bien décrit par les spécialistes du monde intertropical.

Le 05/11/2024 à 11h00

En 1992, dans une publication datant d’avant l’apparition de la notion de «réchauffement climatique global dû à l’homme», deux des plus grands climatologues tropicalistes mondiaux, les Français Yves Tardy et Jean-Luc Probst, expliquaient en quelques lignes que la raison de l’alternance des cycles sécheresse-pluies au Sahel est due aux variations du «front intertropical»:

«Le climat en Afrique suit la position du FIT (Front Intertropical) ou ITCZ (Intertropical Convergence Zone). On peut distinguer deux scénarios:

1- Lorsque le FIT est maintenu en position méridionale, soit parce que les polaires mobiles, originaires du Pôle Sud, sont moins actifs que de coutume, soit parce que leurs homologues septentrionaux venus du Pôle Nord sont au contraire plus longtemps et plus fortement actifs, le déficit pluviométrique est généralisé sur le Sahel d’Afrique de l’Ouest (…) C’est le cas des années 1942, 1944, 1948, 1970, 1971, 1972 et 1973. Cette situation se lit très bien sur la courbe de fluctuations des fleuves Sénégal et Niger (…).

2- Lorsque le FIT remonte haut vers le Nord sous la poussée des anticyclones mobiles originaires du Pôle Sud, on enregistre un excédent pluviométrique sur l’Afrique sahélienne de l’Ouest (…).

Ainsi, avec les mouvements du FIT qui sont sous l’influence de la montée vers le Nord des masses d’air polaire venant du Pôle Sud ou de la descente vers le Sud des masses d’air polaire venant du Pôle Nord, on saisit aisément la relation qui peut exister entre les fluctuations de température et celles de l’humidité, ainsi que l’effet de compétition entre Hémisphère Nord et Hémisphère Sud»

Les recherches actuelles ont intégré les variations du FIT dans la longue histoire des cycles climatiques saharo-sahéliens, ce qui permet de disposer d’un éclairage sur plus de deux millions d’années ainsi que le démontre Mathieu Dalibard (2011) dans sa thèse consacrée aux changements climatiques africains.

Selon Dalibard, le climat africain varie selon trois grands cycles:

1- Les cycles dépendant de la variation de l’orbite terrestre, ou «cycles de l’excentricité», fluctueraient entre 400.000 et 100.000 ans.

2- Les cycles dépendant de l’inclinaison de l’axe terrestre, ou «cycles de l’obliquité», fluctueraient entre 54.000 et 41.000 ans.

3- Les cycles dépendant de la variation de l’axe de rotation de la Terre, ou «cycles de précession», fluctueraient entre 23.000 et 19.000 ans.

Cette succession de cycles, par définition indépendants de toute activité humaine, permet de comprendre pourquoi, il y a plusieurs centaines de millions d’années, le Sahara et le Sahel furent recouverts par un glacier, puis par l’océan. Pourquoi, il y a cent millions d’années, ce fut une immense forêt équatoriale humide parcourue par des dinosaures, avant de lentement se transformer en une forêt tropicale, puis en une savane arborée.

Plus près de nous, ce mouvement climatique de longue durée, tendant depuis 5.000 ans vers l’assèchement, fut entrecoupé de rémissions ayant donné naissance à une succession d’épisodes secs et humides à travers lesquels se fit la mise en place des populations.

Encore plus près de nous, le 20ème siècle a connu quatre grandes sécheresses entre 1909 et 1913, entre 1940 et 1944, entre 1969 et 1973, et entre 1983 et 1985 (Retaille, 1984; Ozer et alii, 2010; Maley et Vernet, 2013). Au cours des années 1960, période «chaude», la pluviométrie en augmentation fit brièvement remonter la zone sahélienne vers le Nord, ce qui se traduisit par un recul du désert. Et pourtant, nous étions alors au pic de l’industrialisation mondiale et des pollutions qui en découlent.

Ensuite, à partir des années 1970, la pluviométrie décroissant, le désert s’étendit donc de nouveau et le Sahel se rétracta, les isohyètes moyennes descendant de 100 à 150 kilomètres vers le Sud. Les conséquences de ce nouveau cycle sont actuellement aggravées, mais non causées, par la pression démographique sahélienne.

L’analyse de ces phénomènes naturels contradictoires est d’une extrême complexité. Elle ne supporte ni les raccourcis ni les idées reçues. Leur compréhension ne passe ni par les anathèmes, ni par les slogans, mais par l’étude de la longue et même de la très longue durée.


Bibliographie

- Carré, M et alii., (2018) «Modern drought conditions in Western Sahel unprecedented in the past 1600 years». En ligne.

- Dalibard, M., (2011) «Changements climatologiques en zone intertropicale africaine durant les derniers 165.000 ans». Thèse de paléontologie climatique, Université Claude Bernard, Lyon 1.

-Leroux, M., (1994) «Interprétation météorologique des changements climatiques observés en Afrique depuis 18.000 ans». Geo-Eco-Trop, 1994,16, (1-4), pp.207-258.

- Leroux, M., (2000) «La dynamique du temps et du climat». Paris.

- Lugan, B., (2023) «Histoire du Sahel des origines à nos jours». Paris.

- Maley, J et Vernet, R., (2013) «Peuples et évolutions climatiques en Afrique nord-tropicale, de la fin du Néolithique à l’aube de l’époque moderne». Afriques, débats, méthodes et terrains d’histoire, vol 4.

- Ozer, P et alii., (2010) «Désertification au Sahel : historique et perspectives». BSGLg, 2010, 54, pp 69-84.

- Retaille, D., (1984) «La sécheresse et les sécheresses au Sahel. L’information géographique», 1984, 48, pp 137 à 144.

- Tardy, Y et Probst, J-L., (1992) «Sécheresses, crises climatiques et oscillations télé connectées du climat depuis cent ans». Sécheresse, 1992 ; 3 : 25-36.

Par Bernard Lugan
Le 05/11/2024 à 11h00