Le droit de grâce est confié au Roi par les dispositions de l’article 34 de la Constitution -l’on retrouve tel quel ce même texte depuis la première loi suprême de décembre 1962. En l’espèce, ce n’est pas une grâce individuelle, mais une grâce collective bénéficiant à certaines catégories de justiciables. À un premier niveau, il faut relever que l’acte est éligible à des valeurs: celles des vertus du pardon, de la bienveillance et de la générosité aussi. Nul doute que tous ces aspects humains sont à mettre en relief: il fallait en effet mettre fin à une situation difficile pour les personnes graciées et leurs familles. La sérénité et la quiétude supplantent désormais dans leurs rangs l’inquiétude et l’insécurité. À un autre niveau, les graciés retrouvent sans doute la plénitude de leurs droits, mais ils vont aussi pouvoir reprendre leurs activités d’agriculteurs en s’insérant dans le dispositif relatif à la réglementation de la culture du cannabis. Ils passent ainsi, en toute transparence, de l’informel et de l’illicite au formel et au légal. Un acquis qui ne peut que leur offrir de nouvelles opportunités. Ils retrouvent de ce fait l’espoir dans un cadre de réinsertion bâti autour de mesures d’accompagnement gérées par une agence dédiée.
Cela dit, où en est l’application de la loi n° 13-21 sur les usages licites du cannabis «à des fins médicales, pharmaceutiques et industrielles»? Ce texte, adopté en juin 2021 par le Parlement, se fixe plusieurs objectifs: la reconversion des cultures illicites destructrices de l’environnement en activités légales durables et génératrices de valeur et d’emploi; la création d’une Agence nationale de réglementation des activités relatives au cannabis (ANRAC), chargée de délivrer les autorisations dans ce secteur (culture, transformation, commercialisation, exportation, etc.); et la constitution des agriculteurs concernés en coopératives.
Le texte prévoit aussi que les agriculteurs concluent des contrats de vente avec des sociétés, des personnes morales régies par le droit marocain, ou avec d’autres coopératives d’agriculteurs, et ce, pour la transformation et la commercialisation de leurs produits. Il mentionne enfin la réduction de l’impact négatif sur l’environnement: délimitation des zones de cannabiculture, définition des cycles agricoles, instauration d’une rotation culturale, et respect de la législation en vigueur relative à l’usage des engrais et des pesticides, à l’exclusion des semences OGM largement utilisées aujourd’hui.
Les acquis de cette loi sont importants: réintégration sociale des agriculteurs; amélioration de leurs revenus -avec la perception de 12% du chiffre d’affaires dans le circuit légal, contre 4% dans le circuit illégal, selon une enquête du ministère de l’Intérieur-, instauration de pratiques agricoles plus durables et sécurisation des activités pour les agriculteurs.
La politique publique ouvre ainsi des possibilités et des opportunités pour les petits agriculteurs des régions concernées. C’est que cette nouvelle économie du cannabis licite, accompagnée par l′ANRAC, est orientée vers le développement des zones rurales. Elle mise sur un développement territorial incluant différents secteurs (agriculture, médecine, tourisme, santé, bien-être, textile, recherche…). Le nouveau marché légal induira ainsi davantage de justice sociale et d’inclusion: promotion de coopératives de producteurs, contrôle des investissements étrangers, limitation de la taille maximale des exploitations, mise en place d’un pourcentage minimum de cannabis provenant des petites exploitations, fixation d’un prix de vente plancher, régulation de la production à travers les licences, etc. C’est une autre politique qui est désormais à l’ordre du jour, préoccupée également par la protection de l’environnement, la garantie d’une meilleure gestion des ressources hydriques et la préservation de la biodiversité de la forêt rifaine.
L’arsenal juridique est en place avec tous ses textes d’application. À ce jour, il regarde trois provinces (Chefchaouen, Taounate et Al Hoceima), où il a permis l’autorisation de neuf activités. Selon les données disponibles, près de 3.000 autorisations ont été accordées au profit de 2.700 agriculteurs pour l’activité de culture et de production de cannabis, contre 721 en 2023. La première activité est celle de la production, et seul l’agriculteur en relation avec la parcelle est autorisé de l’exercer. Le directeur général de l′ANRAC, Mohamed El Guerrouj, s’en est expliqué en mai dernier, lors d’un atelier sur l’expérience marocaine en matière de réglementation du cannabis: «Nous ne sommes pas dans une logique de la superficie de production de cannabis». Pour un agriculteur, être éligible ne suffit pas: il doit avoir en face un opérateur acquéreur de cette production à travers une coopérative.
La deuxième activité est celle de pépinière, dans les trois provinces autorisées. La troisième est relative à l’exportation et à l’importation, les autorisations étant délivrées par l’Office national de la sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA). À noter encore d’autres activités devant être réalisées par une société de droit marocain, à savoir la commercialisation, le transport, l’importation et l’exportation. Pour l’heure, aucune opération d’importation de cannabis ni de produits de cannabis n’a été autorisée, en attendant la finalisation d’une nomenclature spécifique avec la direction des douanes. Le souci est -et reste- la valorisation de la production marocaine. Cette politique prend en charge l’activité de transformation, qui est «l’opération phare de tout l’écosystème du cannabis», avec la mise sur le marché des produits finis à base de cannabis. Il s’agit de l’industrie pharmaceutique ou de production de compléments alimentaires et de produits cosmétiques, suivant le taux de THC (tetrahydrocannabinol), principal cannabinoïde psychoactif dans la plante de cannabis.
La grâce royale apporte une touche finale majeure à une politique marquée du sceau de plusieurs principes directeurs: un développement global, juste et légitime, à travers tout le pays; un engagement de l’État à apporter des solutions humaines et équitables; le renforcement de la confiance, de la stabilité sociale et de la cohésion nationale. Une initiative qui consolide également à l’international les avancées du Royaume en matière de droits de l’Homme et de développement territorial solidaire.