"La paix soit sur toi, ô terre de mes ancêtres", "Nous reviendrons un jour", "Dieu fera les comptes", "Vive Figuig l’ancestrale, la noble, l’inébranlable"… Autant de messages émouvants, inscrits à la peinture rouge et noire sur les murs de rares bâtisses éventrées, sur des terres cultivées par des fellahs marocains depuis la nuit des temps. Ces mots ont été inscrits à El Arja, petite localité située à 6 kilomètres de Figuig, où un général de l’armée algérienne est venu quelques jours auparavant pour sommer les agriculteurs marocains de ne plus y remettre les pieds, sous peine d’être appréhendés.
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En faisant leurs adieux à ces terres qui se transmettent de génération en génération depuis des siècles, ces dizaines de familles de fermiers font également une croix sur leurs revenus, liés aux plantations de palmiers et à la culture des dattes. Des pertes financières énormes se profilent ainsi car c’est dans cette zone, qui comporte plus de 15.000 palmiers, qu’est cultivée l’une des espèces de dattes les plus chères du marché en raison de sa rareté et de sa culture difficile, la datte Aziza, vendue entre 150 et 200 dhs le kilo. "Qui va s’occuper désormais de ces plantations?" s’interrogent les fermiers expulsés, frustrés de voir le travail de toute une vie voué à l’abandon.
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Pourquoi maintenant?Cette décision, tombée comme un couperet, mise en application dès le 17 mars dernier, a provoqué la stupeur et la colère des habitants de la région et des Marocains en général qui voient, dans cette action de l’armée algérienne, un remake de l’expulsion de dizaines de milliers de Marocains d’Algérie, en 1975, au lendemain de la Marche Verte. Après Ksar Zenaga et Ksar Loudaghir, c’est donc au tour d’El Arja de faire les frais d’une décision prétextant le respect du tracé des frontières. Ces frontières ont été ratifiées par l’Algérie en 1973. Pourquoi avoir laissé jusqu’à 2021 les agriculteurs marocains y travailler?
Les médias algériens, à la solde du pouvoir, ont avancé plusieurs explications pour justifier l’expulsion des fellahs marocains. Ils invoquent un trafic de drogue, un trafic d’armes, une opération de déminage… En vérité, toutes les pistes avancées par le pouvoir algérien montrent seulement l’incapacité à expliquer le caractère brutal et inhumain d’une décision qui dépossède des agriculteurs de la terre de leurs aïeux.
Un connaisseur de l’Algérie explique pour Le360 que cette décision de l’Algérie "est à l’unisson de celle de Houari Boumediène qui a expulsé plus de 40 000 Marocains, vivant en Algérie, au lendemain de la Marche verte". Et d’ajouter: "c’est une décision de rage, d’hystérie et d’impuissance face aux percées du Royaume du Maroc sur la question du Sahara et la neutralisation de l’Algérie à l’Union africaine".
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Entre la loi algérienne et son application, le fossé se creuseCôté marocain, les autorités de la région de Figuig travaillent d’arrache-pied à trouver des solutions visant à réduire les retombées néfastes de cette expulsion sur la vie des exploitants agricoles.
La société civile marocaine s’organise elle aussi pour parer à cette situation d’urgence et le club des avocats, présidé par Maître Mourad Al Ajouti, a même mis en place une cellule de crise à destination des propriétaires agricoles d’El Arja. Par ailleurs, le même organisme étudie les moyens juridiques à même de permettre à ces exploitants de bénéficier d’une indemnisation de l’Algérie pour expropriation de leurs terres. Et si d’aventure l’Algérie ne répondait pas à cette requête, le club des avocats entend plaider cette cause devant la communauté internationale.
Une requête qui aurait toutes les chances d’aboutir devant un tribunal international, car pour asseoir son argumentaire juridique, le club se base sur la législation algérienne, laquelle se trouve être en totale contradiction avec cette expulsion. En effet, l’article 827 du Code civil algérien dispose que "celui qui exerce la possession sur une chose, mobilière ou immobilière, ou sur un droit réel mobilier ou immobilier sans qu’il en soit le propriétaire ou le titulaire, en devient propriétaire si sa possession continue sans interruption pendant quinze ans".
Or, comme l’explique Mostafa Serhir, membre fondateur de la Fédération des associations de Figuig en France, au magazine le Courrier de l’Atlas, "ces terres appartiennent aux tribus de Ksar Ouled Slimane. Ils ont des documents datant de 1930. (…) Des familles ont investi toutes leurs vies là-bas". Affaire à suivre...