On aura beau tenter de comprendre le fonctionnement du régime d’Alger et de saisir ses ressorts, on ne saura décidément jamais comment y parvenir. Non pas que la gérontocratie voisine soit tombée dans la marmite du génie politique, cachant un jeu qui va changer le cours de l’Histoire. Mais plutôt parce que le puits de son ridicule est à l’évidence sans fond. Comment interpréter sinon sa réaction, désormais très old school, s’agissant du nouveau vent de contestation qui le frappe, cristallisé par le hashtag #Manich_Radi (je ne suis pas satisfait), qui prospère sur les réseaux sociaux. Une réaction qui se résume ainsi: c’est la faute du Maroc.
C’est ainsi que le «pays du monde à l’envers», sérieusement ébranlé par ce qui s’apparente à une boule de neige grossissant au fil des jours, accuse le Royaume d’en être l’instigateur. Une affirmation portée par la présidence de la République: plus sénile et hâbleur que jamais, Abdelmadjid Tebboune en a fait état le mardi 24 décembre dans un discours-fleuve d’une heure devant les walis. Une telle rencontre aurait pu être l’occasion idoine pour annoncer des mesures à même d’apaiser la colère de la rue. Mais non. C’est à peine si elle a encore une fois servi d’estrade pour gratifier l’audience de nouvelles promesses qui ne seront jamais honorées. Exemple: l’entrée en service, avant le prochain ramadan, de cinq nouvelles stations de dessalement d’une capacité quotidienne de 300.000 mètres cubes. Inchallah. Au passage, le Raïs n’a pu s’empêcher de décliner de nouveaux exploits fictifs: «Nous sommes un pays de défis.» Reste à savoir lesquels… Notamment celui de ne pas attribuer tous ses malheurs aux voisins. Car c’est contre le Maroc que l’essentiel du verbiage présidentiel a été dirigé.
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Pour dire? Et voilà, on y arrive: «L’Algérie ne peut être dévorée par un hashtag», a-t-il lancé sur un ton martial, sérieusement entamé par une mimique d’affamé avalant un chawarma. «Nous protégerons ce pays dont le peuple a le sang des martyrs qui coule dans les veines. Que tout le monde soit rassuré», a-t-il poursuivi, appelant par la même occasion à la «résistance».
Le président ne dira pas comment, si ce n’est à travers la contre-khouta ayant abouti au hashtag #Ana_Maa_Bladi. Une œuvre combinée des génies de la com’ et des as du clavier du régime, dont on regrettera cependant le manque de créativité. Bref.
On l’aura compris, c’est donc le Maroc qui a mis de côté tous ses chantiers de développement, stratégiques et urgents, ses impératives réformes et la mise en place de ses partenariats d’avenir, pour consacrer toutes ses énergies à mener une guerre des étoiles contre la grande, vaillante et prospère Algérie des caporaux. Honnêtement, c’est sous-estimer les capacités de nuisance du Royaume, si l’envie lui en prend. Mais passons.
Au lieu d’être nuancé, ou ne serait-ce qu’expliqué, le délire du président désigné est, à l’opposé, largement amplifié par les médias locaux. Porte-voix attitré du régime, le quotidien El Moudjahid s’est surpassé, via la plume de son directeur de publication, Brahim Takheroubte, le très propre sur lui et un tantinet guindé abonné aux bavardages télévisés du chef présumé de l’État, qui a signé un article intitulé «Le président de la République dénonce publiquement la cyberattaque du Makhzen: vérité sur un complot».
Telles des balles à blanc, les phrases sont assassines, mais creuses, la tonalité est digne de la fin des temps et les «avertissements» font craindre l’arrivée imminente de la ferraille de l’armée algérienne aux portes du Méchouar. On en tremble d’effroi. Ou est-ce seulement le temps frais qui sévit en ce moment au Maroc?
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Tout ça pour dire quoi? «À Alger, on a vite compris l’agacement du Makhzen, irrité de voir l’élection d’un Président qui refuse les injonctions susurrées à l’oreille. Les hérauts de Sa Majesté ont eu tout faux». Vous en voulez encore? «Le chaos est aux portes du royaume, il va bien falloir solder les comptes!» Il y a mieux: «Incapable de s’adapter aux changements qui bouleversent le monde, l’État narcotique est en train de vaciller comme un bateau ivre sans capitaine». En psychanalyse de comptoir, cela s’appelle une autoprojection doublée d’un transfert.
Plus sérieusement, et sans langage châtié, la violente vacuité des propos de Tebboune et de ses plumitifs renseigne sur une seule vérité: le régime d’Alger a «la trouille». Au lieu d’engager des réformes pour répondre aux revendications populaires, il saute sur le premier prétexte prêt à l’emploi.
Frileux depuis la chute du régime syrien de Bachar al-Assad, avec lequel il partage aussi bien le cruel ADN que la fragilité, il «flippe» complètement devant un simple hashtag, annonciateur d’une éventuelle reprise des protestations contre un régime qui a assez duré. Les 25 milliards de dollars consacrés à l’armement au titre de l’année à venir n’y changeront rien. À l’évidence déstabilisé, ce dernier s’agite ainsi dans tous les sens, surtout celui du Maroc. Trop facile. Il ne manque pour autant pas de mener une vague de répression dans les rangs des citoyens –bien Algériens ceux-là– dans l’espoir d’étouffer le hashtag par la terreur. Campagne d’arrestations ciblant les participants au hashtag, enlèvements visant plusieurs internautes ayant exprimé leur révolte dans des vidéos publiées sur les réseaux sociaux, fabrication du contre-hashtag précité pour saper l’originel… tout y passe. Naturellement, les voix dissonantes sont accusées de traîtrise et de servir les intérêts des ennemis. C’est donc logiquement que l’invention du complot extérieur ourdi par le méchant Maroc a suivi. Mais, encore plus sérieusement, un «Système» qui bugge devant un simple hashtag peut-il continuer d’exister?