Dialogue inter-libyen au Maroc: le silence de la France interpelle

Nasser Bourita ouvre à Bouznika, le 6 septembre 2020, le premier dialogue parlementaire inter-libyen.

Nasser Bourita ouvre à Bouznika, le 6 septembre 2020, le premier dialogue parlementaire inter-libyen. . Le360

Alors que la majorité des organisations internationales ainsi que de nombreux pays ont salué l’initiative marocaine d’organiser, à Bouznika, des pourparlers entre les acteurs en conflit en Libye, la France regarde ailleurs et fait le choix du silence.

Le 10/09/2020 à 08h02

Le Maroc abrite depuis dimanche 6 septembre un dialogue entre deux délégations de députés libyens, appartenant aux deux camps en conflit dans ce pays. Organisées dans la petite ville balnéaire de Bouznika (à 42 km au sud de Rabat), les séances du dialogue libyen entre les délégations du Haut conseil d’Etat (qui incarne le gouvernement d’union nationale GNA, reconnu par les Nations Unies) et le parlement de Tobrouk, (dont le pouvoir est incarné par le maréchal Khalifa Haftar), ont été prolongées, à la demande des Libyens, jusqu’à ce jeudi 10 septembre. Ce dialogue rassemble donc les représentants des deux factions qui se déchirent en Libye, l’une se trouvant à l’ouest du pays (GNA) et l’autre à l’est (Tobrouk).

De l’aveu même des protagonistes en place, les discussions à Bouznika ont abouti à «d’importants compromis». En plus de consolider le cessez-le-feu, ces discussions ont ciblé la consolidation des institutions d’un Etat libyen avec un consensus sur des nominations aux postes-clés. «Le dialogue s’est concentré sur les nominations à faire à la tête des institutions régaliennes», a affirmé à ce sujet Abdessalam Al-Safraoui, qui préside la délégation du Haut conseil d'Etat libyen.

Signe qui ne trompe pas sur le succès de ce dialogue, les Libyens ont demandé de prolonger les pourparlers.

L’initiative marocaine de rassembler les acteurs en conflit en Libye et de leur offrir un espace de dialogue pour dépasser leurs différends a été saluée par les organisations les plus représentatives dans le monde. En effet, les Nations Unies, l’Union européenne, l’Union africaine, la Ligue arabe, et jusqu’à la Communauté des Etats sahélo-sahariens (CEN-SAD) ont salué avec des termes sans équivoque l’implication du Maroc en faveur d’une solution politique entre les Libyens. Des pays comme l’Espagne, l’Italie, la Belgique et jusqu’à la Turquie, pourtant directement impliquée en faveur d’un camp, ont salué l’initiative marocaine.

La France a quant à elle fait le choix de ne pas s’exprimer sur les pourparlers entre les protagonistes du conflit libyen qui se déroulent au Maroc. Le silence de Paris interpelle et incite à s’interroger sur ses motivations. A l’opposé, la non-réaction de l’Allemagne, un pays qui a proposé ses bons offices lors de la très médiatique conférence de Berlin sur la paix en Libye du 19 janvier 2020, n’est pas une surprise.

Le silence assourdissant de l’Allemagne s’explique probablement par les résultats concrets du dialogue de Bouznika, alors que la conférence de Berlin n’avait abouti qu’à des déclarations d’intentions. Berlin a rassemblé une galerie de personnalités prestigieuses, majoritairement non libyennes, tandis qu’au Maroc ne sont présents que les protagonistes libyens, qui travaillent studieusement, depuis cinq jours, pour sortir leur pays de l’impasse. Il est à rappeler que l’Allemagne n’avait pas invité le Maroc à la conférence furtive de Berlin, alors même que c’est grâce aux efforts du Royaume qu’un accord de règlement politique avait été trouvé à Skhirat, sous l’égide de l’ONU, le 17 décembre 2015, qui a permis la création d’un gouvernement d’union nationale (GNA) basé à Tripoli.

Donc si le silence de l’Allemagne peut s’expliquer, celui de la France, en revanche, interpelle. Voici un pays, partenaire historique du Maroc, qui affirme accorder un grand intérêt à une solution au conflit libyen, et qui fait semblant de regarder ailleurs quand les acteurs libyens tentent d’asseoir au Maroc les fondations des institutions régaliennes de leur pays. Pourquoi? Est-ce que la France est contrariée par une mise à l’écart de l’option militaire en Libye? Est-ce qu’elle craint que les résultats des pourparlers de Bouznika ne rebattent les cartes, révélant au grand jour les mauvais choix de Paris et son interprétation erronée des acteurs crédibles dans la recherche d’une solution politique dans ce pays? Le Maroc est d’autant plus crédible pour les Libyens qu’ils savent que Rabat propose ses bons offices sans agenda. Est-ce que l’influence croissante du Maroc dans le Sahel dérange Paris? L’imam Mahmoud Dicko a remercié la médiation du roi Mohammed VI au Mali, sans laquelle 2 millions de Maliens auraient manifesté dans la rue, avec tout ce que cela comporte comme risques de confrontations.

Quelles que soient les motivations du silence de la France, le Maroc bénéficie de l’écoute et de la confiance des acteurs en conflit en Libye. La diplomatie marocaine est présente dans ce pays où elle œuvre pour une solution politique. L’une des dernières réussites de la diplomatie marocaine est la nomination de Mohamed Aujjar par la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, à la présidence de la Mission d’enquête indépendante sur la Libye.

Par Aziz Bada
Le 10/09/2020 à 08h02