Akhannouch et les patates chaudes

Karim Boukhari.

ChroniqueC’est par hasard ou presque que j’ai suivi, il y a quelques jours, le «grand oral» du chef du gouvernement, en direct à la télévision marocaine. Beaucoup l’ont raté, d’autres l’ont vu en différé ou en accéléré, en s’arrêtant sur des questions et pas d’autres. Comme s’il s’agissait d’un non-événement. Est-ce normal, docteur?

Le 13/09/2025 à 09h00

Je n’ai pas les chiffres d’audience, qui devaient sans doute être faibles eu égard à l’importance de l’événement. En théorie, tous les Marocains devaient être devant leur téléviseur ce jour-là: ce n’est pas tous les jours qu’ils ont l’occasion de voir un chef de gouvernement «cuisiné» en direct sur des questions brulantes. Rien de tout cela n’a cependant eu lieu, nous avons assisté à un échange tiède, sans grande annonce, sans discours véritable, éludant les questions qui fâchent, ce qu’on appelle dans le jargon journalistique ou politique les «patates chaudes».

Prenez le sujet de la retraite. Cela fait un moment que le Maroc a entamé une réflexion visant à repousser l’âge de la retraite, pour les fonctionnaires comme pour les salariés du privé. Pourquoi? Réponse 1, assez bateau: parce que c’est une tendance mondiale et que, au Maroc comme ailleurs, l’espérance de vie s’allonge. Réponse 2, plus prosaïque: parce que les caisses sont vides et que la solution la plus paresseuse consiste à repousser l’âge de la retraite, ce qui revient à refiler la patate chaude aux gouvernements suivants.

C’est en gros ce que nous a expliqué, à sa manière, M. Akhannouch. Pour des raisons électorales, il ne veut pas «fâcher» les Marocains qui s’apprêtent à partir en retraite.

Passons sur les autres sujets abordés, ou plutôt effleurés. Le chef de gouvernement a livré quelques chiffres. Mais encore? Il manque les mots pour faire parler ces chiffres et leur donner du sens, de la matière, de la chair. En politique, on le sait, la vérité n’est pas que dans les chiffres.

«Tout le monde a besoin de connaitre le point de vue du gouvernement et de son chef, leur sentiment, leur température… »

Reste les patates chaudes, les vraies, les questions de l’heure, de notre époque, de fond, le genre de questions qui interpellent et traduisent l’orientation d’un gouvernement et d’un État. Loin des chiffres, des blocages, des calculs.

Voici un échantillon. Que pense le chef de gouvernement et même le chef de parti du débat entre les pro et les anti-normalisation avec Israël, à la lumière des tristes actualités que vous savez? De la condamnation d’une Betty Lachgar et de la possible relaxation d’un Zefzafi, que tout le monde appelle de ses voeux? De la campagne de «hacking» (piratage informatique) dont ont été victimes plusieurs établissements publics? Des questions qui bloquent la réforme de la Moudawana?

Bien sûr, ces questions n’ont pas été posées. Elles devaient l’être et elles devaient avoir des réponses au-delà de la langue de bois. Tout le monde sait que certaines questions relèvent des prérogatives royales et que les affaires de justice doivent être traitées en toute «indépendance». Mais tout le monde a besoin de connaitre le point de vue du gouvernement et de son chef, leur sentiment, leur température…

Le grand oral est un exercice dur mais nécessaire pour un pays et un État qui aspirent à la démocratie, à la transparence et à la modernité. Il faut institutionnaliser cet exercice. Et il faut en faire un moment de vérité, histoire d’humaniser une institution qui décide, en principe, de la politique générale du pays. Aziz Akhannouch a eu le mérite de s’y plier et c’est tout à son honneur. Mais…

Par Karim Boukhari
Le 13/09/2025 à 09h00