"Je ne pense pas que mon empreinte soit restée sur internet. Mais je peux facilement être remplacé. Mon boulot c'est donc de contrer les idées", explique d'une voix rauque ce jovial Américain de 38 ans, originaire de Pennsylvanie, sorti de prison il y a un an et demi.
Battu par sa mère, il raconte que "personne n'est vraiment intervenu pour que ça s'arrête" et qu'il a perdu confiance dans la société.
Il quitte sa famille à 16 ans et se retrouve à la rue, où il vend de la drogue. "Je n'avais aucun sentiment d'appartenance ou d'identité américaine, je cherchais quelque chose, n'importe quoi".
Il se convertit à l'islam par hasard quand un ami salafiste lui demande de réciter des mots en arabe --qu'il ne comprend pas-- pendant que la police les encercle. "Je les ai prononcés et on n'a pas eu de problèmes, alors j'ai pensé +ouah c'est magique+".
A la prison de Richmond (Virginie), un détenu marocain lui enseigne les bases de l'islam et le convainc de devenir "un vrai musulman".
"C'était en partie de l'endoctrinement mais c'était aussi moi qui avais trouvé un sens" au monde, avoue le repenti resté musulman, renommé à l'époque Younus Abdullah Muhammad.
Il sort de prison peu avant les attentats du 11-Septembre --qu'il soutiendra-- et "change" de vie. Plus de drogue ni d'alcool, mais des prières et des études au Metropolitan College puis à la Columbia University de New York.
Il fréquente la Islamic Thinkers Society, une branche de l'organisation islamiste radicale Al-Mouhajiroun. Il a des "contacts directs" avec Abdullah al-Faisal, un imam radical jamaïcain emprisonné quatre ans à Londres.
Sa vie se dédouble: Dr Jekyll en salle de cours, Mr Hyde à la sortie des mosquées où "on cherchait les lions, on leur laissait les agneaux".
L'enrôlement --avec "Allah seul législateur"-- s'amplifie par la co-fondation fin 2007 du site internet Revolution Muslim, qui utilise YouTube, et profite d'une plus grande liberté d'expression qu'en Europe.
Puis viennent les attaques. Revolution Muslim relaie les messages d'Al-Qaïda et inspire notamment l'Américaine Colleen Larose, arrêtée fin 2009 quand elle s'apprêtait à tuer un caricaturiste suédois.
Le site incite au jihad "fait maison", "aussi américain que la tarte aux pommes" prônée par le chef d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique, Anwar al-Awlaki, et aux attaques à petite échelle. Ce qui "n'était pas encore dans les esprits" aux Etats-Unis.
Cinq mois au MarocLa police commence à s'inquiéter quand Revolution Muslim menace en 2009 de tuer les auteurs du dessin animé satirique South Park. Jesse Morton fuit début 2010 au Maroc, où il est récupéré par le FBI en octobre 2011 après cinq mois en prison.
Dès l'avion, il amorce ses premiers "pas" vers la déradicalisation: quand un agent reconnaît les erreurs des Etats-Unis au Moyen-Orient et un autre lui rend son Coran.
Détenu en isolement, une gardienne lui donne néanmoins un accès nocturne à la bibliothèque. Il lit beaucoup, y compris les philosophes des Lumières comme Jean-Jacques Rousseau. "J'ai commencé à comprendre comment ils avaient rompu avec le sectarisme, la valeur de la laïcité, (...) l'universalité de ces principes qui permettent aux gens d'être libres".
Son bagage intellectuel et ses contacts intéressent beaucoup le FBI, avec lequel il finit par collaborer depuis sa cellule. "Ils m'ont fait réaliser qu'ils étaient là pour nous protéger et pas pour mener une guerre contre l'islam".
Un travail fructueux car il mène à "une série réussie d'opérations de contre-terrorisme", selon lui. Grâce à ses bons services, il purgera moins de quatre ans de prison au lieu de 11 et demi.
Son embauche par l'université George Washington est une première aux Etats-Unis. "C'est quelqu'un qui non seulement s'est radicalisé mais a radicalisé et recruté d'autres gens", souligne Lorenzo Vidino, directeur du programme contre l'extrémisme de l'établissement.
M. Morton est protégé et a divorcé, sa femme étant attachée à un islam plus traditionnel. Il a deux enfants.
Son histoire a été "très bien chorégraphiée par le gouvernement", note Trevor Aaronson, auteur de "The terror factory: inside the FBI's manufactured war on terrorism".
L'auteur s'était demandé après leur rencontre en 2009 si le jeune homme, "un provocateur mais pas un homme d'action", n'était pas déjà... un informateur du FBI.