Le procureur général de l'État demande qu'une vingtaine de membres du gouvernement régional catalan destitué par Madrid et de députés soient inculpés pour détournement de fonds publics, sédition et rébellion, les deux derniers délits étant passibles d'une peine maximale de 15 et 30 ans de prison.
Il les accuse d'avoir encouragé "un mouvement d'insurrection active" au sein de la population catalane pour parvenir à la sécession, dans la pire crise qu'ait connue l'Espagne depuis la fin de la dictature de Francisco Franco (1939-1975).
En dépit de son interdiction par la justice espagnole, le gouvernement régional de Catalogne présidé par l'indépendantiste Carles Puigdemont avait organisé le 1er octobre un référendum d'autodétermination.
Le vote, non reconnu par Madrid et boycotté par les partis anti-indépendantistes, a été émaillé de violences policières faisant au moins 92 blessés. S'ensuivront plusieurs manifestations massives.
Selon les autorités catalanes, le "oui" à la sécession a remporté 90,18% des voix avec une participation de 43%.
Et le 27 octobre, 70 députés catalans sur 135 proclamaient l'indépendance de la "République catalane". Quelques heures plus tard, le gouvernement espagnol prenait le contrôle de la région, destituant son gouvernement et dissolvant son Parlement pour convoquer de nouvelles élections le 21 décembre prochain.
Le vice-président du gouvernement catalan, Oriol Junqueras, devrait être un des premiers à déposer jeudi à partir de 09H00 locales (08H00 GMT) devant une juge d'instruction de l'Audience nationale, juridiction chargée des dossiers sensibles.
Si elle suit les réquisitions du Parquet, elle peut non seulement les inculper mais ordonner leur détention préventive.
Une demi-heure après, la présidente du Parlement Carme Forcadell et les quatre membres du bureau de cette assemblée doivent aussi être entendus mais, en raison de leur privilège parlementaire, par un juge rattaché à la Cour suprême.
Le dirigeant séparatiste catalan, Carles Puigdemont, a lui refusé de comparaître. Réfugié à Bruxelles avec quatre de ses "ministres" destitués, il a dénoncé "un procès politique".
Dans un communiqué, il a présenté comme une tactique concertée la division de son gouvernement.
Certains iront devant l'audience nationale "dénoncer la volonté de la justice espagnole de poursuivre des idées politiques", les autres "resteront à Bruxelles pur dénoncer devant la communauté internationale ce procès politique", a-t-il écrit.
Un des membres du bureau du Parlement qui sera entendu jeudi, Joan Josep Nuet, a pourtant jugé mercredi "irresponsable" l'attitude de M. Puigdemont. "Tous ceux qui sont cités à comparaître pourraient finir en détention préventive" parce qu'il a démontré que le risque de fuite existe, a-t-il déclaré à Catalunya Radio.
La même juge d'instruction avait justement invoqué le risque de fuite en plaçant en détention préventive le 16 octobre dernier deux dirigeants d'associations civiles indépendantistes inculpés pour sédition, parce qu'ils avaient incité à manifester contre la Garde civile lors de perquisitions à Barcelone.
Devant le refus de M. Puigdemont et de ses quatre ministres de comparaître, le parquet devrait demander leur arrestation, et le juge espagnol délivrer un mandat d'arrêt européen.
Mais selon son avocat belge, qui a déjà évité à des membres présumés de l'organisation séparatiste basque ETA d'être renvoyés en Espagne, M. Puigdemont peut demander à être entendu en Belgique.
"Il ne va pas à Madrid, et j'ai proposé qu'on l'interroge ici en Belgique", a déclaré Me Paul Bekaert mercredi à la télévision catalane TV3.
Les analystes voient dans la manœuvre une stratégie électorale à moins de 50 jours d'un scrutin où les indépendantistes espèrent reconduire la majorité qu'ils ont utilisée en novembre 2015 pour enclencher le processus de sécession.
En s'exilant à Bruxelles, M. Puigdemont "joue plus à capter l'attention médiatique qu'à échapper à la justice", a déclaré à l'AFP à Madrid le politologue Fernando Vallespin.
Les dirigeants cités à comparaître seront d'ailleurs accompagnés au tribunal de personnalités et d'élus de leur bord.
À Barcelone, la puissante association indépendantiste ANC a convoqué deux manifestations, devant le siège du gouvernement et dans la soirée devant celui du Parlement, pour dénoncer "la persécution judiciaire".