Jamais la tension sociale n’aura été aussi exacerbée en Algérie. Depuis quelques jours, plusieurs médias locaux, dont le quotidien Al Khabar (plus grand tirage dans le pays), rapportent des annonces de grève un peu partout dans le pays, pour cette deuxième quinzaine du mois de mai.
Si les raisons évoquées par les représentants syndicaux sont parfois diverses, force est de constater qu’elles ont toutes pour dénominateur commun la situation économique de ces derniers mois et qui, aujourd’hui plus que jamais, asphyxie les entreprises locales.
Ce n’est un secret pour personne que l’économie algérienne a longtemps été tirée par la commande publique et les marchés lancés par les entreprises étatiques. Or, la baisse de la rente pétrolière a eu pour conséquence une réduction drastique des investissements (-27% du budget réservé aux équipements publics rien qu’en 2017).
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Pourquoi en 2017, rien ne va plus
Si la situation s’est tant aggravée aujourd’hui, c’est parce que l’Algérie ne sait plus comment absorber le choc lié à la diminution des recettes pétrolières. Comme l’explique Abdenour Kashi, consultant et expert en intelligence économique dans une analyse publiée sur Algérie-éco, «la baisse des revenus pétroliers et la baisse de l’activité en général, a connu un différé dans le temps et n’a pas été suffisamment appréhendée, du fait d'un soutien artificiel par le FRR (Fond de Régulation des Recettes) qui a permis de couvrir le premier choc de la période entre 2014 et 2016». Aujourd’hui, le FRR est à sec, mettant l’Etat dans une situation délicate vis-à-vis de ses fournisseurs.
Et c’est le secteur du BTP, qui emploie plus de 17% de la population active, qui est le premier touché. Fin avril 2017, dans un entretien radiophonique, Brahim Hasnaoui, président-directeur général du Groupe des sociétés Hasnaoui, un des plus importants du secteur, déclarait que «la moitié des entreprises privées du secteur du BTP risquent de mettre la clé sous le paillasson d’ici la fin de l’année». En cause, la suspension des règlements par l’Etat depuis au moins huit mois.
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La «non-solution» d’Abdelmalek Sellal
Dans le secteur privé en Algérie, on parle aujourd’hui de plus de 130 milliards de dinars algériens (plus d’un milliard d’euros) que l’Etat doit à ses fournisseurs. Pour tenter d'apaiser les tensions, le gouvernement, par la voix de son Premier ministre Abdelmalek Sellal, n’a pas trouvé mieux qu’une «solution provisoire». L’Etat a en effet autorisé les entreprises à retarder le paiement de leurs impôts et taxes, en attendant que les règlements de la commande publique reprennent. Néanmoins, il suffit de raisonner avec un peu de logique pour comprendre qu’il s’agit là d’un effet d’annonce et non d’une réelle solution. En effet, le fait générateur d’un impôt ou une taxe est la réception des règlements de factures, ce qui n’est pas le cas pour les entreprises algériennes. In fine, comme l’explique l’analyse publiée par TSA (Tout sur l’Algérie), cette décision «inutile» ne soulagera en fait les entreprises que des charges sociales, soit d'une infime partie des coûts qu’elles ont à supporter, notamment pour payer les salaires des employés et leurs propres prestataires.
Mieux encore, cette prétendue solution avancée par Abdelmalek Sellal, n’est finalement qu’une application d’une mesure déjà prévue dans la Loi de finances 2017, comme le précise Smaïl Seghir, consultant en management et observateur du secteur du BTP, dans une interview accordée à Liberté Algérie.
Au bord d’une faillite socio-économique
Le pire dans l’histoire, comme le souligne Smaïl Sghir, est que «le BTP occupe une place spéciale dans les économies nationales et singulièrement dans celles des pays en développement». Non seulement il s’agit d’un secteur qui crée beaucoup d’emplois, mais il agit aussi comme un accélérateur du développement économique dont l’impact se fait sentir sur plusieurs autres domaines d’activités. C’est dire qu’en laissant ce secteur agoniser, le régime algérien est en train de tuer toute son économie, chose qui se traduit inéluctablement par une réduction des emplois et partant, génère une aggravation des protestations sociales.
C’est le point critique que l’Algérie semble avoir atteint aujourd’hui. Mais pour le régime d’Alger, cela ne semble pas être la priorité du moment, contrairement au renforcement de l’arsenal militaire du pays avec des budgets toujours aussi colossaux et, surtout, à son sponsoring à toute thèse hostile au Maroc, quels qu’en soient les coûts et les dépenses.